La lâche agression contre des enseignantes dans leur domicile de fonction à Bordj-Badji-Mokhtar (BBM) à l’extrême sud de l’Algérie a produit une onde de choc nationale. Elle a révélé les conditions de travail et de vie des enseignants dans les zones éloignées.
« Nous tenons à dénoncer avec force ce qu’il s’est passé qui est plus qu’un crime. C’est inqualifiable, abominable. Nous portons la responsabilité à la direction de l’Éducation, les collectivités locales, etc., sachant que ce n’est pas la première fois qu’il y a eu une agression dans cette école. C’est la quatrième fois », proteste Bachir Kiouas, enseignant de français et membre de la Coordination nationale des enseignants du cycle primaire.
« Rien qu’en avril dernier les institutrices concernées avaient organisé un rassemblement devant la direction de l’Éducation de Bordj-Badji-Mokhtar pour demander de la protection, raconte-t-il. Elles n’ont même pas de réseau ou une ligne téléphonique pour alerter en cas de nouvelle agression. Elles ont demandé des agents de sécurité, ce qui leur a été carrément refusé faute de postes budgétaires ».
M. Kiouas revient sur les conditions de vie des enseignants et décrit la misère des instituteurs et les difficultés qu’ils ont pour se loger. « Dans les grandes villes, ils logent carrément dans les dortoirs ou dans des appartements en colocation. Dans les zones éloignées comme à BBM et le grand Sud, les enseignants affectés dans ces régions sont logés dans des conditions lamentables en l’absence des conditions rudimentaires comme l’eau courante ou l’électricité, etc. Même le minimum de protection avec l’installation d’agents de sécurité, ne serait-ce que pour lancer des alertes, n’existe tout simplement pas », raconte le syndicaliste.
L’enseignant dénonce les multiples agressions et harcèlements dont sont victimes les enseignantes y compris sur leur lieu de travail. « Il est temps de donner suffisamment de protection dans les textes de loi, qu’il y ait plus de campagnes de sensibilisation pour dire justement que la victime en tant que telle n’est en rien responsable de ce qu’il lui arrive », exhorte M. Kiouas.
Élan de solidarité national
Après la lâche agression contre les institutrices de BBM, un élan national de solidarité s’est vite mis en place avec des grèves et des rassemblements devant les directions de l’éducation de wilayas.
« Nous réfléchissons actuellement à une action nationale en soutien aux victimes, en attendant bien entendu que les choses s’éclaircissent dans cette affaire », annonce Bachir Kiouas.
Le calvaire des dix institutrices de BBM est également vécu comme un acte inexcusable par leurs confrères des autres cycles de l’Éducation nationale.
« Agresser des enseignantes dans leurs logements de fonction pendant deux heures et leur subtiliser leurs affaires personnelles est très grave. Cela démontre l’insécurité que vivent les enseignants de ces régions isolées », peste Messaoud Boudiba du CNPAEST (secondaire et technique). « Cette agression n’est pas la première contre ces enseignantes. Elles ont déjà signalé qu’elles n’étaient pas en sécurité. Une alerte qui n’a pas été prise en considération, la preuve c’est qu’elles ont été violentées une nouvelle fois », s’offusque le coordinateur du SNAPEST, Meziane Meriane.
« Il ne faut pas se taire », s’exclame M. Meriane qui en appelle à situer les responsabilités. « On fait des pieds et des mains pour compenser le manque d’enseignants dans le Sud et voyez ce qui arrive », dénonce M. Meriane qui réclame plus de protection pour les enseignants notamment ceux qui sont affectés dans les zones éloignées.
L’impact de cette agression n’est pas seulement sur les victimes mais aussi sur d’autres enseignants qui exercent dans la même localité, s’inquiète Abdelkader Azzoug coordinateur du SATEF à Adrar.
« D’autres enseignants exerçant au même endroit ont vu de leurs propres yeux ce qu’il s’était passé. Comment vont-ils pouvoir poursuivre leur travail après tout ce que leurs consœurs ont subi ? Cet incident s’est répété quatre fois ou plus durant la même année. Après que le sang ait coulé cette fois, dans quel état d’esprit vont-ils reprendre l’enseignement ? », s’interroge M. Azzoug.
« En tant que syndicats, nous voulons sensibiliser les responsables quant à rassurer ces enseignants et leur trouver des solutions en matière de sécurité par l’amélioration des conditions de travail. Surtout les soutenir matériellement quand on sait qu’un paquet de lait coûte 300 ou 400 DA sachant que 80 % des enseignants affectés vers les régions éloignées sont des contractuels. Comment dans ces conditions un enseignant peut-il travailler sereinement ? », se demande le représentant du SATEF.
K.N.