Adhésion aux Brics : Les critères définis en juin 2023
L’Algérie qui se redéploie sur la scène internationale grâce à une stratégie de développement avisée inscrit son action de coopération dans le long terme avec ses partenaires, a affirmé, hier Leila Zerrougui, envoyée spéciale, chargée des grands partenariats internationaux.
« Le monde est aujourd’hui globalisé et aucun pays ne peut se développer, construire sa stabilité et assurer sa sécurité dans la limite de ses propres frontières », a indiqué Mme Zerrougui lors de son passage dans l’émission l’Invité de la rédaction de la chaine de la Radio Algérienne affirmant, dans ce sillage, que l’Algérie saisit toutes les opportunités et qu’elle est ouverte à tous ceux qui veulent travailler avec elle « dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant ».
Abordant les avancées réalisées dans le positionnement du pays sur le marché africain, l’invitée évoque les nombreux projets structurants réalisés avec les pays partenaires notamment en termes de développement des infrastructures tels que la route et le gazoduc transsahariens, le projet de fibre optique et de chemin de fer qui vont permettre à la fois de désenclaver la région et d’engager une dynamique de développement économique.
En plus du marché africain, première destination au regard des liens géographiques et historiques qui lient le pays au continent, l’intervenante cite de nombreux espaces offrant des opportunités d’investissement et de coopération. « Des espaces existent », assure-t-elle en citant le marché du monde arabe avec l’introduction d’un chapitre sur le développement des relations commerciales et économiques lors du dernier Sommet d’Alger, les espaces extérieurs dans la méditerranée ou les partenaires traditionnels comme la Chine, les Etats-Unis, la Russie…
Interrogée sur l’adhésion au Brics, Mme Zrrougui rappelle que l’Algérie a exprimé sa volonté de rejoindre cette union et qu’elle attend la définition des critères d’adhésion par les pays membres. « Nous attendons que les Brics fixent les critères en juin prochain avec la tenue du sommet en Afrique du Sud », fait-elle savoir.
L’Algérie a annoncé, le 7 novembre courant, l’introduction de sa demande d’adhésion au groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Les experts réagissent plutôt à chaud. Ils ont été surpris par une telle décision. L’idée n’a été évoquée, plus comme un souhait, par le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, qu’en juillet dernier. Et c’est une première depuis l’indépendance du pays qu’un haut responsable affiche un tel vœu d’intégrer un ensemble économique international, en dehors des coalitions régionales et locales habituelles, dont les résultats sont peu convaincants.
Le souhait du chef de l’Etat algérien prend vite la forme d’un « projet géostratégique ». Et les autorités algériennes ont accéléré le processus en déposant officiellement une demande d’intégration à cet ensemble qui pourrait s’appeler, probablement dans un avenir proche, « BRICSA », dont le ‘’A’’ reviendra à l’Algérie.
Plus plausible, d’autant que deux chefs de file de ce club restreint, en l’occurrence la Russie et la Chine, se sont déjà montrés favorables à cette adhésion. En attendant de connaître le sort qui sera réservé à la demande d’Alger, la démarche continue de susciter un débat animé parmi les experts algériens.
– « Positionnement sur l’échiquier mondial »
Interrogé par l’Agence Anadolu, Abdelghani Ben Amara, économiste et enseignant à l’université de Batna (est algérien), estime que la « demande de l’Algérie est motivée par un objectif politique et géostratégique ». Rappelant le poids économique des BRICS, dont la participation à la croissance économique mondiale sera de 40% en 2025, notre interlocuteur affirme qu’à travers ce choix, l’Algérie « renforcera son positionnement sur l’échiquier mondial ». Comment ? L’expert répond : « A travers son statut de puissance africaine et méditerranéenne, située en pivot entre l’Asie et l’Amérique du Sud, l’Algérie pourrait renforcer son positionnement sur l’échiquier mondial et amorcer sa mue grâce au Brain drain (le cas de la diaspora algérienne). Sur le plan de l’innovation et de la technologie, l’Inde et la Chine ont su tirer parti des nouvelles technologies, ce qu’on appelle les ‘’avantages des retardataires’’. Ils ont eu une marge d’innovation importante et ont court-circuité les étapes du développement en adoptant des technologies récentes. Nous retrouvons aussi les nouvelles technologies dans les transferts de technologie qui sont en partie responsables du succès de la Chine », explique-t-il.
Pour tirer profit de ce bloc, précise-t-il, « l’Algérie doit intensifier sa politique de développement du numérique et des nouvelles technologies ». « Les compétences sont là ! L’Algérie dispose d’une main-d’œuvre qualifiée, peut créer des opportunités, notamment avec sa proximité avec l’Europe. Il y aussi l’essor des échanges intra-BRICS, qui sont très importants, où la Chine joue un rôle majeur. L’Algérie pourra intégrer ces marchés dans la perspective d’une formidable opportunité d’intégration économique mondiale », soutient-il, ajoutant que le pays « dispose d’un atout majeur : sa puissance énergétique… et son statut de partenaire privilégié pour l’équilibre géopolitique régional et européen ».
Analysant le poids des BRICS, Mohamed Saïd Kahoul fait remarquer que « l’économie des membres de ce club est fortement dépendante de l’investissement et de la consommation des pays occidentaux et il n’y a aucune intégration interne entre les pays membres à l’exception d’une banque de 100 milliards de dollars ».
« L’adhésion de l’Inde s’inscrit beaucoup plus dans une démarche de rivalité avec la Chine. D’ailleurs, sa condition pour que le siège de la banque soit en Chine fut que le vote soit à une seule voie, bien que la Chine détient 40% de cette Banque. Si on veut se faire une bonne idée sur l’absence d’une intégration économique entre ces pays, il suffit de regarder le niveau des échanges entre eux », relève-t-il.
Affirmant que les rapports historiques de l’Algérie avec les pays du BRICS faciliteront son intégration de ce Club, l’expert pense, toutefois, que le pays n’aura pas grand-chose à gagner. « Nos balances commerciales avec les cinq membres sont négatives. Peut-on espérer équilibrer ou renverser cette balance par l’intégration de ce club ? Je doute fort, parce que non seulement nous n’avons pas leur diversification, ni leurs capacités de production et eux-mêmes se cherchent des marchés pour leur produits. Le temps marin d’au moins un mois (le voyage maritime entre la Chine et l’Algérie, NDLR) nous pénalise par ses coûts », dit-il.
– « Prestige diplomatique »
Nazim Sini, analyste économique et conférencier, voit, pour sa part, un avantage pour l’Algérie en adhérant aux BRICS. Dans une déclaration à une chaîne de télévision algérienne, cet enseignant d’économie en France souligne d’abord que cette demande officielle « peut paraître prématurée, mais elle intervient au contraire au bon moment ». « Surtout dans le contexte de tension que l’on connaît actuellement (crise en Ukraine, NDLR). Le choc énergétique que nous vivons actuellement rebat les cartes des sphères d’influences. L’Algérie devient naturellement un candidat crédible pour intégrer les BRICS », indique-t-il.
Et d’ajouter : « Il faut rappeler que cette demande intervient à un moment où nos fondamentaux macroéconomiques sont solides, notre environnement des affaires plus propice et surtout nous sommes l’un des rares pays à n’avoir aucun endettement extérieur. Ce qui renforce notre souveraineté. Nous représentons véritablement la puissance économique émergente en Méditerranée ».
Selon lui, « l’intérêt principal pour l’Algérie est le prestige diplomatique et politique qu’elle pourrait tirer si elle devait intégrer ce cercle prestigieux ». « L’Algérie bénéficierait d’un sacré coup de projecteur sur ses atouts et son potentiel économique. Elle pourrait multiplier par 7 ou 8 les IDE (investissements directs étrangers) » , indique-t-il.
S.B.