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vendredi 28 juin 2024

Fatigue informationnelle : moins informés, plus heureux ?

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La fatigue informationnelle – ou « infobésité » – concerne désormais un Français sur deux, selon une étude récente. Cette overdose face aux mauvaises nouvelles reflète les inquiétudes que suscite le « nouveau désordre mondial », mais ce mal du XXIe siècle n’est pas une fatalité, selon les psychologues. Explications.

Il existe des sourires plus parlants que les mots. Comme celui d’Elizabeth, 35 ans, confiant se « sentir tellement mieux » depuis qu’elle vit sans l’actualité. Comme beaucoup d’autres, elle a pris cette décision en 2020, à l’aube de la période pandémique. La jeune femme s’était alors retrouvée confinée, seule, sans emploi, sans horizons. « Aux informations, on ne parlait plus que du Covid-19. J’ai alors été envahie par une énorme crise d’angoisse. Pour l’arrêter, j’ai compris qu’il fallait que je me coupe de l’information. »Elizabeth n’a jamais ressenti le désir de revenir aux médias depuis lors.

Ce sentiment d’oppression, d’épuisement et d’anxiété face à un flot d’informations trop angoissantes porte un nom : la fatigue informationnelle. Selon une enquête de 2022 menée par L’ObSoCo, Arte et la Fondation Jean-Jaurès, ce mal-être touche désormais un Français sur deux. Parmi ses synonymes, l’« infobésité ». Cette analogie alimentaire en résume le mécanisme : comme l’excès de masse graisseuse que le corps n’arrive pas à métaboliser en énergie, l’excès d’information fait que le cerveau n’arrive plus à transformer celle-ci en connaissance.

Trop d’infos, trop d’angoisse

En 1970, Alvin Toffler, célèbre futurologue américain, publiait « Le Choc du futur ». On pourrait se demander si cet homme n’est pas monté à bord de la DeLorean de Marty McFly : le sociologue prédisait que l’humanité serait entraînée dans un enchaînement de transformations si rapides, qu’elles amèneraient les gens à se « déconnecter du monde », pour se protéger d’une « désorientation destructrice ». 

Cinquante-trois ans plus tard, Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue clinicienne à Montréal, livre son diagnostic sur ce mal du XXIe siècle : non seulement l’information a envahi nos vies, mais avec les réseaux sociaux et smartphones, elle pénètre également dans notre intimité. : « Quand bien même nous ne la cherchons pas, nous recevons plus d’informations qu’il n’est possible pour nous d’en traiter, ce qui est très anxiogène », explique-t-elle.

Et l’actualité n’aide pas, entre une pandémie dont la page n’est pas encore tournée, un monde qui brûle et se noie au gré de changements climatiques toujours plus violents, ou une guerre déclenchée aux portes de l’Europe. Épuisés, les anciens « infobèses » sont surtout angoissés.

« La peur » : c’est d’ailleurs le premier mot qui vient à l’esprit d’Ève Allemand, psychologue dans un paisible village en Suisse, lorsqu’on aborde avec elle le thème de l’infobésité. Ce torrent de mauvaises nouvelles, Ève n’en veut d’ailleurs plus. Si elle a éteint son poste de télévision au printemps 2020, c’était pour « préserver sa joie de vivre », mais aussi « continuer d’irradier du bonheur ». 

La vie en rose

Les « infobèses » reprochent souvent aux journalistes leurs choix éditoriaux. « Pourquoi ne parlent-ils pas des belles initiatives qui se réalisent partout, chaque jour ? « , regrette, comme d’autres, Marianne, 30 ans, conseillère principale d’éducation.

« Parce que c’est comme ça », grommèle une consœur journaliste : « Si nous ne rapportons que des mauvaises nouvelles, c’est parce que les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne ». L’antienne est vieille comme la profession, mais n’empêche pas de parler des trains qui arriveraient en avance. Suivant le sillon tracé par le média en ligne Positivr, les angoisses du confinement ont accouché du Média Positif, du « fil good » du Monde, ou encore de la « Pause réconfort » proposée par Slate : le désir de voir la vie en (un peu plus) rose s’est répandu au gré des inquiétudes sanitaires. « Cette aspiration est emblématique de la jeunesse », explique Caroline Sauvajol-Rialland, journaliste, spécialiste de l’infobésité, qui estime que les jeunes jaugent désormais l’actu à l’aune du bien-être.

Impuissants face à un tableau mondial devenu sombre, certains finissent par se couper radicalement de l’actualité, mus par un raisonnement de cet acabit : « À quoi bon s’informer si c’est juste pour apprendre qu’on va mourir dans une catastrophe climatique ou sous les canons de Poutine ? »

La psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier constate que ce découragement est d’autant plus grand qu’on est jeune, car les incertitudes du futur sont multipliées par les années encore devant soi. Dès lors, le rejet de l’actualité correspond à une stratégie d’adaptation : celle de l’évitement. « Cette attitude peut réduire le niveau d’anxiété sur le coup. Mais à terme, un facteur externe – une personne, une situation – fera immanquablement ressurgir l’angoisse », prévient la psychologue québécoise. 

L’ordonnance qu’elle prescrit aux info-épuisés est simple : trouver son équilibre personnel dans la quantité d’informations consommées, trier, et surtout, éliminer certaines sources en fonction de leur qualité.

La clef de la sérénité 

Au-delà des psychologues, le rejet de l’information préoccupe aussi politologues et journalistes. « Un homme bien informé est un citoyen, celui qui serait mal ou non informé est un sujet », abonde Caroline Sauvajol-Rialland.

Sont-ils pour autant moins informés, ces anciens « junkies » de l’info ? Non, estiment plusieurs témoins interrogés. Plutôt « différemment informés », estime Paul Maakad. Jusqu’en 2014, l’année où il fit ses adieux à la scène journalistique parisienne, le Franco-Libanais se sentait comme « drogué à l’actualité » : « Je n’arrivais pas à m’en départir sans ressentir un manque. Et puis j’ai commencé à identifier les sujets qui m’intéressaient, à les creuser. J’ai alors compris que je pouvais me libérer des turpitudes de l’actu immédiate sans pour autant renier ma curiosité envers la vie ». 

Face à une multiplication des médias, réalisée aux dépens de leur qualité, « il faut devenir nos propres directeurs de l’information », exhorte Caroline Sauvajol-Rialland. La journaliste s’interroge : « Au fond, à quoi nous sert-il d’apprendre la mort d’enfants dans un accident de bus en Espagne, si nous ne cherchons pas à comprendre les intelligences qui ont permis de réduire le nombre de morts sur les routes ? » 

Ce sentiment est au diapason du diagnostic unanime des psychologues : face au décuplement des informations brutes, « ce qui nous apaise, c’est la compréhension du monde ».

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