Entretien réalisé par Samir BOUZIDI
L’Algérie est engagée dans une transformation linguistique significative, via un passage progressif du français vers l’anglais. Loin d’être une simple évolution dans les salles de classe, cette démarche constitue un projet stratégique dans les sphères, pédagogique, culturelle et économique. Conscients du rôle prédominant de l’anglais dans le paysage mondial actuel, notamment dans les sciences, la technologie et la communication internationale, les autorités algériennes ont initié une réforme ambitieuse visant à réussir la transition linguistique.
Cette orientation s’ancre dans une volonté politique forte, qui se manifeste par la mise en place de dispositifs dédiés. Cela inclut des initiatives pour la formation des enseignants, la création de supports d’apprentissage adaptés et la modernisation numérique des établissements scolaires. Au cœur de ce processus, la Commission Nationale d’Enseignement à Distance (CNEAD) joue un rôle pivot. Elle agit comme un outil stratégique pour étendre l’apprentissage de l’anglais à un public plus large, en rendant l’enseignement accessible à tous, indépendamment de leur localisation géographique. Grâce à ses plateformes numériques, ses cours en ligne et ses ressources pédagogiques interactives, la CNEAD devient un pilier fondamental autour duquel se structure la nouvelle politique linguistique du pays.
Cette approche vise à garantir une transition graduelle, contrôlée et inclusive, capable de répondre aux exigences d’une société en pleine évolution et tournée vers le futur. L’objectif est de doter les Algériens des compétences linguistiques essentielles pour naviguer et réussir dans un monde globalisé.
Dans un entretien accordé au Quotidien de Constantine, le Professeur Ahmed Belhani, président de la CNEAD, représentant du ministre, aborde la démarche des pouvoirs publics en vue du passage à l’anglais via l’enseignement à distance.
Le QDC : Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a qualifié, depuis Béchar, le passage à l’anglais dans l’enseignement des sciences médicales de « décision judicieuse ». Comment pensez-vous que la Commission nationale de l’enseignement à distance (Cnead) pourra accompagner cette œuvre ?
Ahmed Belhani : Le secteur de l’enseignement à distance a accompagné le passage à l’anglais depuis fin 2022, à travers des stratégies visant le renforcement linguistique au profit des différents acteurs. Cette mutation linguistique à l’ère du numérique réside dans la mise en place d’une plateforme basée sur une solution internationale « Edx » conçu par MIT « Massachussetts Institute of Technologie », USA, et qui a été initialement utilisée pour la diffusion des cours sous forme de Mooc « Massive Open Online Courses », en collaboration avec des universités de renommée telle que, MIT, Harvard University, Berkeley, …
Dans cette optique, la CNEAD a lancé le projet « Enseigner en Anglais au Supérieur : ENASUP » au profit des enseignants-chercheurs. Des professeurs Algériens spécialistes en didactique et rattachés aux établissements Constantine2, ENS Constantine, Bejaia, Oran2, Alger3, Sétif2, Batna2, Mila, Tizi Ouzou, M’sila et Annaba, ont pris le défi de concevoir un ensemble de Moocs, conçus autour des vidéos pédagogiques enregistrées au sein des studios de différents établissements : Université Constantine2, Université Constantine3 et université de Béjaia.
‘’L’accès à ces Mooc est assuré via un test de placement’’
Le processus d’apprentissage est autour de deux niveaux B2, traitant les quatre compétences linguistiques ; Listening, Speaking, Writing et Reading. Alors que le niveau B1 est dédié à l’Anglais sur objectifs spécifiques : ESP (English Specific Purposes », et qui a traité la biologie, les sciences médicales, le Business, les sciences techniques, la sociologie et la psychologie. L’accès à ces Mooc est assuré via un test de placement.
L’adoption de l’enseignement en anglais ne peut pas répondre aux attentes de l’Etat si le noyau de l’enseignement, représenté par l’étudiant, n’est pas formé.
A cet effet, le secteur a tracé une stratégie de formation des nouveaux bacheliers à partir de l’année académique 2023-2024. La formation dure deux mois (mi-Juillet- mi-Septembre). Un Mooc intégrant les quatre compétences linguistiques a permis à plus de 700000 nouveaux bacheliers de bénéficier de cette nouvelle formation.
La mutation linguistique en matière d’enseignement en anglais au milieu des sciences médicales, déclarée par Monsieur le Président de la République, n’est pas donc à instaurer à partir de zéro, la CNEAD s’est déjà engagée et elle prendra le défi d’améliorer son dispositif sur DUAL. Des coopérations interuniversitaires, sont à déployer pour améliorer la compétence « Speaking » en face to face et dans des laboratoires de langues.
- Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a annoncé, récemment, le lancement de la plateforme nationale d’expertise des cours en ligne . Quelles sont les démarches à entreprendre par les enseignants pour souscrire à cette démarche et obtenir, partant, « l’attestation d’enseignement à distance » ?
Depuis l’adoption de l’enseignement à distance par le Ministère, à travers la mise en place de la CNEAD, l’attestation d’enseignement en ligne est devenue un document assez important et pesant, en matière de points, lors du passage au grade MCA et Professeur. C’est une pièce qui était initialement établie localement, sur la base des critères qui se diffèrent d’une instance à une autre au sein du même établissement.
Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a estimé, d’un côté, qu’une équité dans l’établissement de cette attestation doit être adoptée, et d’un autre côté, une transparence dans le traitement de l’expertise.
A cet effet, la CNEAD a pris le défi de concevoir une solution universelle et centralisée sur la base d’un cahier de charge très précis afin de répondre aux attentes exigées. Le produit a vu le jour en avril 2025, la plateforme « Online Courses Expertise : OCE » est le produit annoncé par Monsieur le Ministre lors une conférence de presse, le 29 avril 2025.
Quatre acteurs principaux définissent le fonctionnement de cette plateforme : le responsable du bureau stratégique numérique créé en octobre 2022 dans le cadre du schéma directeur numérique (SDN). Son rôle réside dans la personnalisation et l’adaptation de la plateforme selon l’organisation de son établissement.
‘’L’obtention de l’attestation est conditionnée par l’authentification du contenu pédagogique du support enseigné…’’
Le deuxième acteur repose sur l’instance de la post-graduation qui va vérifier et approuver la demande d’expertise sollicitée par l’enseignant-demandeur, noyau de la plateforme. Les experts, définissent le quatrième acteur, sont choisis par la CNEAD en concertation avec les chefs d’établissements, parmi ceux ayant suivi la formation TIC et pratiques pédagogiques, lancée au niveau de l’université Constantine1 en 2012, et qui a été ouverte au profit des nouvelles recrues au sein des établissements nationaux, en 2016 suite à l’arrêté ministérielle n° 932 du 28 juillet 2016, modifié et complété par le n° 144 du 29 décembre 20124.
L’obtention de l’attestation est conditionnée par l’authentification du contenu pédagogique du support enseigné, par les instances scientifiques. L’inscription des étudiants sur la plateforme d’enseignement en ligne de l’établissement basée sur Moodle, selon la correspondance n° 1792 du 26 novembre 2022, communiquée par Monsieur le Secrétaire général du Ministère. Un score de 50%, basé sur la moyenne des expertises, avec la possibilité de recours en cas de refus.
- L’opération d’apprentissage à distance de l’anglais est basée sur la notion de MOOC (Massive Open Online Course). Pouvez-vous nous éclairer sur ce nouveau format pédagogique en ligne ?
Les MOOC, est une nouvelle vision de l’enseignement à distance visant la résolution du problème de massification, il s’agit des cours en ligne ouverts et massifs, basés sur des vidéos pédagogiques qui ne dépassent pas les 10 minutes pour chaque séquence pédagogique, avec l’insertion des activités d’apprentissage de différents types. Ces nouvelles technologies éducatives répondent favorablement au point de vue de Yuan et Powell, « Les connaissances devraient être partagées librement et le désir d’apprendre devrait être satisfait sans contraintes démographiques, économiques et géographiques » (Yuan et Powell, 2013, p. 6).
Les premières tentatives de création de Moocs dans le monde datent depuis 2001. Dès lors, plusieurs variantes ont émergé : Stanford University, khan Academy lancé en 2010, le cours sera lancé en 2012.
En 2012, Massachusetts Institute of Technology (MIT) a mis en place le projet MIT Opencourse Ware -MITx- . Après MIT et Harvard University ont mis en place une nouvelle plateforme open source OpenEdx, pour diffuser des Mooc via la plateforme destinée à la communauté universitaire mondiale, visant un large éventail de disciplines. En 2014, avec la contribution de 50 grandes écoles et universités américaines, Edx a connu un enrichissement par des cours de haut niveau.
En 2013, la France a lancé ses premiers MOOCs, en coopération avec plusieurs universités, à partir de la plateforme « France université numérique’’
Actuellement, Edx est utilisée par neuf universités parmi les dix premières dans le monde, ainsi que par plus de 20 organisations gouvernementales et non gouvernementales, elle compte plus de 55 millions d’apprenants suivant plus de 50000 cours et avec plus de 53 langues.
‘’ Aujourd’hui « Digital University of Algeria » représente la plateforme des Moocs Algériens ’’
En Algérie les préparatifs au projet DUAL -Digital University of Algeria- ont été menés en 2018 à l’université Constantine 1 en vue de lancer les premiers MOOCs algériens, Afin de réussir le projet, près de 5000 enseignants universitaires ont été formés sur la conception des MOOCs depuis 2019.
Aujourd’hui « Digital University of Algeria » représente la plateforme des Moocs Algériens parrainé par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique.
- Est-il possible de faire un check-up du rythme d’application des orientations gouvernementales en matière de transition linguistique ? Peut-on parler de facultés réceptives et de facultés peu emballées ?
Il n’y a pas de facultés réceptives et d’autres peu emballées, il y a, plus tôt une gestion de priorités par rapport à l’utilisation de l’anglais dans l’action enseignement-recherche. La priorité une est accordée, dans un premier temps, au grand domaine ST, qui utilise, pratiquement et dans sa totalité l’anglais dans recherche. Les autres domaines occupent la deuxième priorité. De plus, et pour éviter toute forme de résistance, l’accompagnement pédagogique, administrative et technique a été placé en amont de cette transition linguistique.
- La transition linguistique ne mettra-t-elle pas en exergue une guerre générationnelle entre, francophones et arabophones peu sensibles au changement d’un côté et de jeunes anglophones peu enclins à apprendre d’autres langues, de l’autre côté ?
La transition linguistique peut être vue à travers deux angles différents ; Enseignement et recherche.
Quant à la recherche, l’université est fondée essentiellement sur un ensemble d’acteurs, œuvrant ensemble, directement et indirectement, sur la visibilité.
Le classement d’un chercheur par les instances compétant, en l’occurrence Stanford University et Elsevier, repose sur un ensemble de critères, tels le nombre de publications, la citation, la position de l’auteur, …
Le chercheur est dans l’obligation d’utiliser l’anglais pour augmenter le nombre de citations de ses articles, touchant positivement à sa visibilité et celle de son établissement. On peut tirer la conclusion que l’anglais est une langue omniprésente dans les établissements de l’enseignement supérieur.
‘’La langue n’est pas le seul facteur responsable de l’acquisition du savoir…’’
Ce premier constat, pousse l’ensemble des chercheurs à travailler dans un même environnement linguistique en créant un climat convivial de collaboration, loin de tout conflit lié à la langue.
Le deuxième point qui est très important, réside sur la langue de l’enseignement qui reste l’un des canaux de transmission du savoir. Les spécialistes en technologies éducatives affirment que la diversification des canaux, en adoptant le format audio- Scripto-iconique est la meilleure solution pour toucher le maximum du public cible. Ce qui nous permet de soulever le deuxième constat et qui approuve que la langue ne soit pas le seul facteur responsable de l’acquisition du savoir.
‘’ Le ministère a tracé différentes stratégies d’accompagnement de l’enseignant pour une mutation linguistique…’’
Cependant, tout changement nécessite un accompagnement, dans le but de remédier au problème de résistance, le ministère a tracé différentes stratégies d’accompagnement de l’enseignant pour une mutation linguistique, à savoir les formations accélérées, l’implication des CEIL, la priorité accordée à la mobilité dans le cadre d’un séjour linguistique, les conventions avec les établissements privées, des regroupement et des évènements assurés par les enseignants ayant suivi les études dans des pays anglophones.
- Comment intégrer l’intelligence artificielle dans la démarche programmatique de la CNEAD pour optimiser l’apprentissage de la langue anglaise ?
La promotion de l’IA au sein des établissements de l’enseignement supérieur est une nouvelle mission accordée à la CNEAD, par arrêté ministériel n° 145 du 29 décembre 2024.
Tout un programme national a été communiqué par la CNEAD aux établissements par le biais des conférences régionales des universités, à travers lequel, un référentiel de onze (11) compétences a été adopté afin de couvrir quatre principaux axes à savoir : la formation, la recherche, le développement des compétences et les échanges.
La mise en œuvre de ce programme national est assurée dans un premier lieu par la programmation de webinaires, encadrés par des spécialistes algériens, des compétences algériennes à l’étranger et des chercheurs étrangers. L’IA au service de l’analyse textuelle et l’apprentissage de l’anglais est envisagée dans cette série de webinaires.
- Certains analystes estiment que la CNEAD doit faire sa « révolution » pédagogique à la lumière du bouleversement formidable des technologies informationnelles en insistant, par exemple, sur le profil parfaitement outillé du formateur en langues ?
La mission essentielle de la CNEAD repose sur les technologies éducatives et l’introduction des TIC dans les milieux, pédagogique et de recherche. Cette mission on la trouve bien adaptée à l’école numérique de langue, décrite dans l’arrêté ministériel 145 du 29 décembre 2024.
Il a été déjà souligné que la CNEAD a adopté la notion de Mooc pour l’apprentissage de l’anglais et qui rentre dans les mutations pédagogiques à l’ère du numérique. En outre, la CNEAD envisage d’intégrer d’autre outils pour le renforcement de l’oral basée sur l’IA.
- Vous êtes représentant du ministère de tutelle et président de la commission nationale de l’EAD. Peut-on connaitre davantage sur le parcours du Dr. Ahmed Belhani ?
Professeur Ahmed BELHANI, Président de la CNEAD et représentant du Ministre. Titulaire d’un doctorat en contrôle des systèmes, ayant suivi d’autres parcours de formations liés aux technologies éducatives couronnés par des certificats et des diplômes, à savoir Spécialiste en e-learning dans le cadre de programme Algéro-suisse en 2010, un master en technologies éducatives de l’université Cergy Pontoise, France, en 2012, un parcours en pédagogie universitaire de l’université UCL en 2016, et professionnel en Mooc Designer de MIT en 2018.
Professeur Ahmed BELHANI est le concepteur de la formation TIC et pratiques pédagogiques lancée au profit des nouvelles recrues au niveau de l’université Constantine1 en 2012. En 2016 et avec la mise en place d’un programme d’accompagnement des nouvelles recrues par le ministère, il a été appelé à prendre en charge le volet TIC dans l’enseignement. A cet effet, il a conçu un dispositif de formation en ligne, diffusé sur la plateforme TELUM. Entre 2012 et 2016, il a participé dans des projets européens, liés à l’axe de l’enseignement à distance.
En octobre 2022, il a été invité par Monsieur le Ministre à accompagner les mutations pédagogiques à l’ère du numérique, à travers la création de la « Commission Sectorielle d’Implantation et de Suivi de l’Enseignement à Distance dans les Etablissements de l’Enseignement Supérieur », sous l’acronyme CNEAD et qui a pris de nouvelles missions fin 2024, avec une nouvelle dénomination « Commission Sectorielle d’Implantation et de Suivi de l’Enseignement à Distance dans les Etablissements de l’Enseignement Supérieur » ; en travaillant sur les TICE, les plateformes d’appui, l’IA, l’accompagnement des nouvelles recrues, la veille pédagogique, l’anglais à distance, HPC
En 2023, il a été invité à la participation au programme de la formation des doctorants, il dirige actuellement le comité pédagogique de la matière TIC au sein de la commission nationale d’accompagnement des doctorants, il est l’initiateur des trois plateformes régionales PADOC.
S.B.



