Alors que les moissonneuses entament leur ballet saisonnier sur les plaines du nord et les périmètres agricoles du sud, la campagne moisson-battage 2024-2025 s’annonce déjà comme l’une des plus prometteuses de la décennie. Avec des rendements moyens atteignant 55 quintaux à l’hectare – contre 47 l’année précédente – et des pics allant jusqu’à 86 quintaux/ha dans certaines zones sahariennes, l’Algérie entrevoit enfin un redressement significatif de sa filière céréalière. Un redressement qui, loin d’être conjoncturel, s’inscrit dans une stratégie plus vaste de souveraineté alimentaire et de reconfiguration géopolitique de l’agriculture nationale.
Un Sud agricole en pleine transformation
Traditionnellement marginalisée dans les politiques agricoles, la région saharienne fait désormais figure de nouvel eldorado céréalicole. Selon l’expert agricole Mustapha Bennoui, invité cette semaine de l’émission L’Invité du jour sur la Chaîne 3 de la Radio algérienne, ce regain de productivité s’explique par une meilleure appropriation des techniques culturales, mais surtout par l’électrification progressive des périmètres agricoles.
« Le Sud n’est plus un territoire d’expérimentation, il devient un pôle de production stratégique. La maîtrise agronomique progresse, et les investisseurs – nationaux comme étrangers – s’adaptent aux contraintes climatiques sahariennes », affirme M. Bennoui.
Des contrastes persistants au Nord et à l’Ouest
Si le centre et l’est du pays affichent des rendements « acceptables », l’Ouest reste en retrait. La baisse structurelle des précipitations, accentuée par le dérèglement climatique, limite le renouvellement des nappes phréatiques et affecte la durabilité des cultures pluviales. Une situation qui appelle, selon Bennoui, à une révision profonde de la carte agricole nationale, toujours basée sur des données datant de 1933.
« Nous sommes passés de cycles à dominante humide à des cycles dominés par des sécheresses persistantes. Cette nouvelle donne impose une relecture intégrale de notre zonage agricole », plaide-t-il.
Mobilisation des ressources hydriques : un tournant stratégique
La gestion de l’eau, enjeu majeur pour l’avenir de la céréaliculture, devient plus pragmatique. Alors que les stations de dessalement assurent désormais une grande partie des besoins en eau potable des populations urbaines, l’État peut désormais envisager une redirection partielle des eaux de surface et souterraines vers les activités agricoles.
Cette approche fait écho à une volonté politique plus globale : faire de l’Algérie un pays moins dépendant des importations céréalières, qui grèvent régulièrement la balance commerciale.
Vers une diplomatie céréalière algérienne
Au-delà des performances agricoles locales, l’Algérie peaufine une stratégie céréalière internationale. À travers des partenariats structurants avec des pays comme la Russie, l’Argentine, le Brésil, ou encore le Kazakhstan, Alger cherche à sécuriser ses approvisionnements tout en développant des coopérations techniques et des investissements croisés.
En 2024, plusieurs protocoles d’accord ont été signés avec la Russie, incluant des volets de transfert technologique, de semences adaptées aux zones arides et d’approvisionnement stratégique en blé tendre. Des projets pilotes de culture en commun dans le Sud, impliquant des entreprises brésiliennes et kazakhes, sont également en cours, avec une mutualisation des ressources hydriques et des engins agricoles. Enfin, l’Algérie renforce sa collaboration avec des institutions comme le CIMMYT (Centre international d’amélioration du maïs et du blé) pour introduire des variétés plus résistantes au stress hydrique et thermique.
Une nouvelle trajectoire agricole
Si les ambitions céréalières de l’Algérie se veulent réalistes, elles n’en restent pas moins audacieuses. Le double levier de l’extension saharienne et de l’alliance stratégique internationale constitue une réponse structurée à des décennies de dépendance et de vulnérabilité face aux aléas climatiques et aux marchés mondiaux.
Avec une récolte 2024-2025 qui s’annonce prometteuse, le pays semble enfin récolter les premiers fruits d’une politique agricole en mutation. Mais pour que cet élan soit durable, il faudra encore renforcer la formation des agriculteurs, moderniser les itinéraires techniques, et surtout, achever la mue administrative d’un secteur encore trop encadré par des cartes et des normes d’un autre siècle.
L.R.



