Le 15 novembre 2025, le ministère de l’Agriculture, du Développement rural et de la Pêche a marqué un tournant historique dans la gestion des chiens et chats errants : l’arrêt immédiat des opérations d’abattage « sauvage » et « anarchique » menées dans plusieurs communes du pays. Dorénavant, toute intervention visant à éliminer des animaux errants devra être autorisée par les services vétérinaires des wilayas et suivie de procédures précises définies par le ministère.
Cette décision fait suite à une vague d’indignation déclenchée par des images de tirs, d’empoisonnements et de mises à mort brutales, largement relayées par la presse et sur les réseaux sociaux. La réaction des citoyens, des associations de défense animale et des militants écologistes a été immédiate et massive.
« Nous ne pouvons plus tolérer ces pratiques brutales et non encadrées. Elles sont contraires à nos valeurs humaines et religieuses, et elles portent atteinte à la réputation de l’Algérie sur la scène internationale », a rappelé le ministère dans son communiqué.
Au-delà du geste symbolique, cette décision ouvre la voie à une réforme en profondeur : l’abandon de l’extermination purement punitive au profit de politiques intégrées, centrées sur la stérilisation, la vaccination, le recensement et la création d’infrastructures d’accueil pour animaux errants.
Les limites des abattages massifs
La littérature scientifique et les expériences internationales démontrent que les exterminations massives ne régulent pas durablement les populations animales. Les abattages créent un vide écologique, laissant la place à d’autres animaux — chiens, rongeurs, rats — et entraînent un retour rapide des populations, parfois plus importantes qu’avant.
De plus, ces pratiques exposent les collectivités locales à des risques juridiques et éthiques, et alimentent une crise d’image nationale et internationale. La stérilisation et le contrôle de la population, combinés à des programmes de vaccination antirabique, s’avèrent beaucoup plus efficaces, durables et respectueux des animaux.
Les organisations internationales (OIE, FAO, WHO) recommandent une approche intégrée, appelée Dog Population Management (DPM) : un dispositif complet qui inclut stérilisation, vaccination, identification, éducation et infrastructures adaptées.
Des exemples internationaux instructifs
Plusieurs pays ont mis en œuvre des démarches innovantes et efficaces pour gérer les populations animales errantes. L’Algérie peut s’inspirer de ces expériences pour adapter ses politiques nationales.
1. Bhoutan : la campagne nationale accélérée
Entre 2022 et 2023, le Bhoutan a mené une opération nationale baptisée Nationwide Accelerated Dog Population Management and Rabies Control Programme. Elle a permis de stériliser et vacciner près de 150 000 chiens errants, atteignant une couverture quasi totale. Le succès est attribué à l’engagement politique au plus haut niveau, à des équipes mobiles de vétérinaires, à des centres chirurgicaux temporaires et à un suivi post-opératoire rigoureux.
Le principal enseignement : une volonté politique forte, associée à une planification logistique et médicale minutieuse, permet d’obtenir des résultats rapides et durables.
2. Inde : le programme Animal Birth Control (ABC)
Depuis les années 1990, l’Inde a institué le programme ABC, basé sur la stérilisation et la vaccination des chiens errants via des équipes municipales. Les procédures standards définissent les méthodes chirurgicales, la surveillance post-opératoire et l’identification des animaux.
Dans certaines villes, comme Trichy, plus de 24 000 chiens ont été stérilisés, accompagnés de campagnes de vaccination antirabique. Toutefois, le programme fait face à des défis opérationnels : manque de centres vétérinaires, pénurie de personnel qualifié et financement limité. L’Inde montre que les lois seules ne suffisent pas : l’exécution opérationnelle est cruciale.
3. Turquie : réforme législative et défis d’infrastructure
En 2024, la Turquie a adopté une loi imposant aux municipalités la collecte, stérilisation, vaccination et hébergement des chiens errants. Le pays a cependant rapidement rencontré des limites : le nombre de refuges est insuffisant par rapport à la population animale, ce qui complique l’application pratique. La leçon turque est claire : la loi doit s’accompagner d’un investissement massif dans les infrastructures.
4. Europe : interdiction de l’euthanasie et stratégies de protection
Dans plusieurs États européens — Italie, Portugal, Allemagne —, l’euthanasie des chiens errants est strictement encadrée ou interdite. Les animaux sont identifiés, stérilisés, suivis et proposés à l’adoption via des refuges municipaux ou associatifs. Ces programmes, souvent financés par l’État et les ONG, montrent qu’une combinaison de réglementation stricte et de moyens opérationnels peut être efficace et durable.
Les axes stratégiques pour l’Algérie
Pour que la politique nationale algérienne devienne un modèle durable, plusieurs actions doivent être coordonnées :
- Cadre légal et instructions nationales claires
L’arrêt des abattages sauvages et la centralisation des décisions auprès des services vétérinaires sont la première étape. Il faudra formaliser un plan national avec objectifs chiffrés, calendrier pluriannuel et budget dédié. - Campagnes de stérilisation et vaccination ciblées
Des unités mobiles et des « sterithons » (journées massives de stérilisation) doivent être déployés, en priorité dans les zones urbaines et touristiques. Les modèles bhoutanais et latino-américains montrent que la mobilisation concentrée permet de maximiser l’impact. - Identification et recensement systématiques
Les animaux traités doivent être identifiés (encoche ou micropuce) et inscrits dans une base nationale. Cela permet de suivre la population, de mesurer l’efficacité des interventions et de planifier les rappels vaccinaux. - Refuges et filières d’adoption locales
La création de refuges régionaux, leur financement et leur encadrement vétérinaire sont indispensables pour éviter l’accumulation de populations errantes non traitées. - Communication et sensibilisation
Informer la population sur les avantages de la stérilisation, des vaccinations et de l’adoption responsable est essentiel pour assurer l’adhésion citoyenne et réduire les abandons. - Financement durable et partenariats public-privé
Les opérations nécessitent un financement stable, issu des municipalités, de l’État, d’ONG et de philanthropes. Un suivi transparent, avec indicateurs quantitatifs (stérilisations, vaccinations, incidents de rage), permettra d’ajuster les stratégies.
Les risques à anticiper
- Sous-financement : sans moyens suffisants, les campagnes risquent de reproduire les dysfonctionnements observés ailleurs.
- Communication insuffisante : le manque d’information peut provoquer des réactions locales extrêmes ou la méfiance des citoyens.
- Surveillance sanitaire : la vaccination antirabique doit précéder et accompagner toute réduction de population afin de protéger la santé publique.
Une chance historique
L’Algérie a désormais l’opportunité de devenir un exemple régional de gestion moderne des animaux errants. La décision du 15 novembre 2025 n’est que la première étape : la réussite dépendra de la coordination nationale, de l’engagement politique, de l’implication des collectivités locales, de la mobilisation des vétérinaires et de l’adhésion de la population.
Si elle s’inspire des modèles internationaux — le plan ambitieux du Bhoutan, la méthodologie de l’Inde, les expériences européennes — et adapte ces stratégies à son contexte, l’Algérie peut transformer une pratique cruelle et inefficace en une réussite durable, à la fois humaine, sanitaire et économique.
L.R.



