“ La société, auparavant majoritairement consommatrice de cannabis, connaît aujourd’hui une progression inquiétante des psychotropes et des drogues dures chez les jeunes ”, a indiqué hier M. Tarek Kour, directeur général de l’Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie (ONLCDT), lors d’une journée d’étude consacrée au cadre juridique national de prévention et de lutte contre les drogues, tenue dans la grande salle de conférence de la cour de justice de Constantine.
Au cours du premier semestre 2025, plus de 32 millions de comprimés psychotropes ont été saisis, soit une hausse de plus de 100 % par rapport à l’année précédente. Selon M. Kour, ce chiffre record reflète un basculement vers des substances nettement plus dangereuses indiquant que les autorités ont également saisi plus de 20 tonnes de cannabis, 827 kg de cocaïne et 100 kg d’héroïne, confirmant la gravité et l’ampleur du phénomène.
Emergence de nouvelles pratiques de consommation
M. Kour a aussi alerté sur l’émergence de pratiques de consommation particulièrement préoccupantes, comme l’injection de sang contaminé, qui expose à de graves infections telles que le VIH et l’hépatite C. Cette évolution, a-t-il souligné, révèle une tendance vers des comportements à très haut risque, nécessitant un renforcement des actions de prévention et de sensibilisation, surtout auprès des jeunes.
Par ailleurs, le directeur de l’ONLCDT a mis l’accent sur la prévention la qualifiant de pilier central de la nouvelle stratégie nationale de lutte contre la drogue et les substances psychotropes pour la période 2025-2029. Déployée sur cinq années, cette stratégie repose sur quatre axes fondamentaux, à savoir : la prévention, le traitement et la prise en charge des toxicomanes, la dissuasion et la lutte ainsi que la coopération internationale, a-t-il souligné.
Cela dit, le même responsable a précisé que si cette approche s’appuie sur la prévention, le traitement et l’accompagnement des personnes concernées, en privilégiant une prise en charge humaine des personnes dépendantes, considérées comme des victimes nécessitant un soutien, elle intensifie la répression à l’encontre des trafiquants, notamment au sein des établissements scolaires.
En outre, M. Kour n’a pas manqué de rappeler la nécessité de renforcer la coordination interinstitutionnelle et l’élargissement des actions de terrain surtout auprès des jeunes mentionnant que dans le cadre de la stratégie antidrogue, il est prévu de mettre en œuvre 236 opérations de prévention dans 33 secteurs d’activité variés, comme l’éducation, la jeunesse, la santé, la culture et les médias, des actions qui visent à prévenir la consommation de drogues par le biais d’activités de sensibilisation et de prévention.
Entre prévention, accompagnement et répression
De son côté, le président de la Cour de Constantine, M. Azzedine El-Arfi, a mis en avant les dispositions de la loi n°?25-03 du 1er juillet 2025, publiée au Journal officiel n°?43. Cette loi, qui modifie et complète la loi n°?04-18 du 25 décembre 2004 relative à la prévention et à la répression des stupéfiants et des substances psychotropes, introduit un virage sécuritaire, sanitaire et éducatif dans la lutte contre la toxicomanie. Elle renforce les mesures de répression, améliore la prise en charge médicale des personnes concernées et introduit de nouvelles obligations, telles que le dépistage obligatoire dans les établissements scolaires et à l’embauche.
M. El-Arfi a précisé que, pour les élèves, un test positif ne donne pas lieu à des poursuites judiciaires, l’objectif étant de les orienter vers un suivi médical et social adapté. Il a également rappelé la sévérité du dispositif pénal prévu par la loi?indiquant que les peines varient de 20 à 30 ans de prison et peuvent aller jusqu’à la peine de mort lorsque les infractions sont commises dans ou à proximité d’établissements éducatifs, ou lorsqu’elles touchent des mineurs ou des personnes vulnérables. La loi 25-03 renforce encore ces sanctions, notamment pour les drogues synthétiques et les précurseurs chimiques, et prévoit pour les récidivistes la réclusion à perpétuité avec aggravation des peines.
Et d’ajouter que la loi prévoit également des sanctions financières et administratives? avec notamment des amendes pouvant atteindre 2 millions de dinars pour blanchiment ou transfert de fonds liés au trafic, fermeture des commerces, hôtels, restaurants, salles des fêtes ou clubs impliqués, et publication ou affichage public des jugements aux frais des condamnés.
Elle introduit en outre le retrait de la nationalité algérienne acquise pour les auteurs de crimes graves liés aux stupéfiants, ainsi que l’interdiction de résidence, temporaire ou permanente. Pour démanteler les réseaux internationaux, la loi autorise les enquêtes financières internes et externes, le gel des avoirs et l’interdiction de voyager jusqu’au jugement définitif.
3 millions de comprimés psychotropes pour la région Est
Pour sa part, le premier procureur général adjoint près de la Cour de Constantine, M. Mourad Sekar, a indiqué que, entre juin et novembre, dans la région Est du pays regroupant 15 cours de justice, plus de 3 millions de comprimés psychotropes ont été saisis ainsi que plus de 420 kg de cannabis et plus de 40 kg de cocaïne. Des chiffres alarmants qui illustrent l’ampleur du trafic et de la consommation dans cette région, mettant en évidence un changement significatif dans le type de drogues consommées.
Cette journée d’étude a été marquée par plusieurs interventions majeures. M. Abdennour Kirane, procureur général auprès du tribunal de Zighoud Youcef, y a présenté les mesures de traitement prévues par la loi 04-18, telle que modifiée et complétée alors que Mme Abla Barguellah, directrice adjointe des litiges et du recouvrement douanier à la direction régionale des douanes, a exposé le rôle des douanes algériennes dans la lutte contre l’importation, l’exportation et le trafic illicite de drogues et de substances psychotropes.
Quant à M. Abdelaziz Boudene, professeur éminent en droit, il est intervenu sur la toxicomanie, en détaillant les risques, les méfaits ainsi que les stratégies de prévention et de traitement et M. Sofiane Hanafi, directeur des études à l’Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie, a présenté la stratégie nationale de prévention des drogues et des substances psychotropes 2025-2029, insistant sur les actions coordonnées entre différents secteurs pour lutter contre ce fléau.
Soumeya B.M



