Alors que les relations diplomatiques entre Paris et Alger traversent l’une de leurs périodes les plus tendues depuis des années, le monde des affaires tente de maintenir le fil du dialogue. Ce mardi 17 juin, une vingtaine d’entreprises françaises ont participé aux Journées de l’industrie organisées à Alger, aux côtés de plus de 150 entreprises algériennes. Un signal fort envoyé par les acteurs économiques, bien décidés à ne pas laisser la politique emporter avec elle les intérêts partagés des deux rives.
Un rendez-vous économique à haute portée symbolique
C’est dans les salons feutrés du Centre international des conférences (CIC), en bord de Méditerranée, que s’est tenu le premier grand rendez-vous industriel franco-algérien de l’année 2025. Malgré les tensions politiques qui pèsent depuis l’été 2024 sur les relations bilatérales, la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française (CCIAF) a réussi à mobiliser une vingtaine d’entreprises françaises, issues de différents secteurs industriels, pour échanger avec plus de 150 entreprises algériennes, publiques et privées.
« Notre objectif est clair : reconnecter les acteurs de l’industrie, créer des partenariats concrets et favoriser les investissements en Algérie », explique Michel Bisac, président de la CCIAF, dans un entretien accordé à Tout sur l’Algérie (TSA). « Nous avons déjà organisé des rencontres sectorielles dans la pharmacie ou l’agroalimentaire, mais c’est la première fois en 2025 que l’industrie est à l’honneur. »
Le choix du calendrier n’est pas anodin. Depuis juillet 2024, les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie se sont considérablement détériorées, sur fond de divergences autour de questions mémorielles, migratoires et sécuritaires. Pourtant, loin des cercles politiques, les entreprises poursuivent leur coopération.
Pour Michel Bisac, cette persistance n’est pas qu’un acte de résilience économique : elle est aussi une tentative de préserver un lien stratégique.
« Nous devons absolument dissocier l’économie de la politique. Les 6 000 entreprises françaises présentes en Algérie n’ont jamais cessé leurs activités, quels que soient les discours politiques. Il est crucial de continuer à construire des ponts, surtout dans l’industrie. »
Un frémissement malgré une baisse des échanges
Les chiffres témoignent cependant des effets de la crise. Les exportations françaises vers l’Algérie ont chuté de 21 % au premier trimestre 2025, passant de 1,255 milliard d’euros à 992,5 millions par rapport à la même période de l’année précédente. Un recul que Michel Bisac juge préoccupant mais pas irréversible :
« Nous avons noté un léger redressement sur les quatre premiers mois de l’année, avec une baisse contenue à 18 %. Cela montre que les échanges se stabilisent. »
Surtout, la présence de nouvelles entreprises françaises intéressées par le marché algérien est perçue comme un signe encourageant. « L’Algérie reste un pays incontournable pour la France. Elle est proche, riche en ressources et en opportunités. Les entrepreneurs, eux, sont pragmatiques : ils veulent travailler. »
Le précédent Saadé : signe d’une détente à venir ?
La tenue des Journées de l’industrie intervient peu après la visite remarquée de Rodolphe Saadé, PDG de CMA CGM, l’un des géants mondiaux du transport maritime. Reçu début juin par le président Abdelmadjid Tebboune, ce déplacement a été perçu comme un geste d’apaisement dans le monde des affaires, et peut-être comme le prélude à une reprise progressive du dialogue politique.
Un dialogue par les affaires
Au-delà des rencontres protocolaires, les industriels présents à Alger espèrent déboucher sur du concret : partenariats technologiques, joint-ventures, investissements productifs. Les secteurs concernés sont variés : mécanique, énergie, chimie, matériaux, sous-traitance industrielle.
La majorité des entreprises françaises présentes sont déjà implantées ou actives en Algérie. D’autres viennent tâter un marché encore porteur malgré les contraintes réglementaires. L’intérêt est réciproque : l’industrie algérienne cherche à monter en gamme et à diversifier ses partenariats.
En organisant ces Journées de l’industrie, la CCIAF et ses partenaires ont envoyé un message clair : le lien franco-algérien peut encore se reconstruire par l’économie, même lorsque les canaux politiques sont obstrués.
Il reste à savoir si ces initiatives suffiront à relancer une dynamique durable, ou si elles resteront des îlots de bonne volonté dans une mer agitée. Une chose est sûre : du côté des entreprises, la volonté de bâtir des ponts demeure plus forte que celle d’ériger des murs.
S.B.



