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mardi 16 décembre 2025

Importations : L’État serre la vis face aux fraudeurs

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Une nouvelle mesure radicale impose aux entreprises un programme prévisionnel d’importation pour enrayer les détournements fiscaux et les pratiques frauduleuses

Dans sa lutte de plus en plus offensive contre les circuits opaques et les fraudeurs aux importations, l’État algérien vient de franchir un cap décisif. Depuis le 9 juillet 2025, toutes les entreprises qui importent des équipements ou des matières premières pour leur propre fonctionnement ou leur production sont désormais soumises à une nouvelle exigence : la présentation d’un « Programme prévisionnel d’importation pour le second semestre 2025 », document officiel à transmettre aux banques et délivré par le ministère du Commerce et de la Promotion des exportations.

Ce dispositif, à première vue administratif, cache en réalité une riposte ciblée face à une fraude aux contours nouveaux mais aux conséquences économiques majeures. Le ministère, dirigé par Kamel Rezig, entend s’attaquer frontalement à une technique de plus en plus répandue : des entreprises, déclarées comme productrices, importent à tarif préférentiel des intrants destinés à la transformation, mais les revendent ensuite directement sur le marché — sans transformation, et donc en violation des règles douanières.

Ces opérations illégales permettent aux fraudeurs d’échapper aux droits de douane élevés (5% au lieu de 25%), provoquant un manque à gagner important pour le Trésor public et créant une concurrence déloyale pour les entreprises respectueuses de la réglementation.

La décision intervient dans un contexte économique marqué par la baisse continue des prix du pétrole, principale source de devises du pays. Cette fragilité structurelle pousse l’État à renforcer la surveillance du commerce extérieur, désormais perçu comme un levier stratégique de souveraineté économique.

Les autorités pointent notamment du doigt un nouveau mode opératoire : des entreprises importatrices abusent de leur statut pour écouler sur le marché noir des matières premières subventionnées, suivant le modèle des anciennes fraudes dans le secteur de la minoterie, où du blé destiné à la fabrication de pain était détourné pour nourrir le bétail — avec à la clé d’importants profits illicites.

Une mesure aux allures de filtre massif

Le programme prévisionnel d’importation, désormais obligatoire, servira de base de contrôle pour les institutions financières, les douanes et les autorités fiscales. Ce plan détaillé permettra d’évaluer la cohérence entre les volumes importés et l’activité réelle de l’entreprise.

En pratique, six étapes sont nécessaires pour obtenir le document — un processus administratif que certains dénoncent déjà comme une complexité bureaucratique supplémentaire. Mais pour le gouvernement, c’est un mal nécessaire. Avec plus de 300 000 entreprises concernées, l’enjeu est de taille : réintroduire de la transparence dans un écosystème souvent miné par l’opacité et les positions de rente.

 « Une régulation vitale pour la souveraineté économique »

Pour l’économiste Brahim Guendouzi, cette mesure traduit une prise de conscience sur la dimension stratégique du commerce extérieur :

« Au-delà de la régulation des flux, il s’agit de restaurer l’autorité de l’État sur un secteur clé pour la souveraineté nationale. Le manque de transparence et les privilèges illégitimes nourrissent des pratiques de rente destructrices. »

Le gouvernement, qui avait déjà drastiquement réduit le nombre d’importateurs de 43 000 à 13 000 en 2022, continue donc sa politique de nettoyage du secteur. Mais la fraude évolue vite : aujourd’hui, ce sont les faux producteurs — et non plus seulement les commerçants — qui alimentent le marché parallèle.

Des conséquences pour les entreprises honnêtes

Ironie du sort, ce renforcement du contrôle, bien que salutaire, fait aussi peser une pression supplémentaire sur les entreprises sérieuses, qui doivent se plier à une nouvelle série de démarches. « C’est frustrant d’être traité comme un fraudeur potentiel quand on respecte toutes les règles », confie un industriel de l’agroalimentaire à Alger.

Mais pour l’État, il n’y avait plus d’autre choix : laisser prospérer ces fraudes revenait à saborder les politiques de soutien à la production nationale, à encourager la fuite de devises, et à affaiblir la crédibilité économique du pays.

Une fraude liée à la devise et au double taux de change

Le président Abdelmadjid Tebboune lui-même a récemment dénoncé la sous-facturation à l’export, qui succède aujourd’hui à la surfacturation d’antan. Il a notamment pointé l’exemple des dattes algériennes, exportées à des prix inférieurs à ceux du marché local, dans le but de constituer des avoirs en devises à l’étranger.

La dualité du taux de change et l’absence de traçabilité dans certaines opérations continuent d’alimenter ces dérives, malgré les efforts de la Banque d’Algérie et du ministère du Commerce pour assainir le secteur.

En imposant ce nouveau filtre administratif obligatoire, l’Algérie marque une étape importante dans la lutte contre la fraude à l’importation. Mais l’efficacité du dispositif dépendra largement de sa mise en œuvre sur le terrain, de la capacité de traitement des dossiers par l’administration, et d’un renforcement des contrôles a posteriori.

La bataille contre les fraudeurs est loin d’être terminée, mais le signal politique est clair : l’ère des importations non encadrées touche à sa fin.

L.R.

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