Depuis plusieurs années, l’Espagne est identifiée comme la principale porte d’entrée de la drogue en Europe, grâce à sa position géographique stratégique, véritable carrefour entre l’Amérique latine, l’Afrique du Nord et le continent européen. Mais si l’Espagne constitue la porte d’arrivée des cargaisons illicites, c’est bien la France qui apparaît aujourd’hui comme un maillon central et incontournable dans cette chaîne mondiale du trafic de stupéfiants.
L’Hexagone ne se contente plus d’être un simple pays de transit : il est devenu l’un des marchés les plus lucratifs d’Europe, un territoire d’implantation pour les réseaux criminels, et une plaque tournante logistique où s’organise la redistribution vers le reste du continent. Face à cette réalité, les services douaniers et policiers français se trouvent débordés, parlant d’une véritable « saturation » des axes routiers et judiciaires, sous la pression croissante des trafics venus du sud.
Le 27 juillet 2025, sur l’autoroute A8, au péage de La Barque (Bouches-du-Rhône), un contrôle routier de routine révèle la face cachée de ce commerce globalisé. Un poids lourd immatriculé à l’étranger, officiellement chargé de bois et d’aluminium en provenance d’Espagne, transporte en réalité plus de 200 kilos de cocaïne pure, dissimulés dans des sacs de sport dans la couchette du chauffeur. Ce mode d’acheminement démontre la capacité des réseaux à s’adapter et à contourner les contrôles, mais surtout souligne l’importance de la France comme territoire de passage incontournable.
Au 31 mai 2025, ce sont près de 3 tonnes de cocaïne qui ont déjà été interceptées à la frontière franco-espagnole, un chiffre en hausse de plus de 160 % par rapport à 2022. Ces saisies, presque quotidiennes sur des points stratégiques comme les péages de Biriatou et du Boulou, traduisent la pression extrême exercée sur le territoire français par les réseaux criminels.
La France est bien plus qu’un simple pays de passage. Elle est devenue un marché stratégique, avec une consommation en forte croissance et des villes comme Paris, Marseille, Lyon, Lille ou Toulouse, véritables plaques tournantes du commerce de détail. Ici, le prix de la cocaïne, acheté en Espagne à environ 3 000 à 4 000 euros le kilo, peut atteindre jusqu’à 30 000 euros au détail, offrant des marges colossales aux trafiquants.
Cette rentabilité attire des réseaux très organisés, mais aussi des acteurs diversifiés : jeunes sans antécédents, étudiants, familles endettées, recrutés pour assurer les transports et la distribution. La France joue aussi un rôle clé en tant que hub logistique européen, avec des infrastructures de transport et des réseaux urbains complexes qui facilitent la circulation des stupéfiants vers d’autres pays, notamment la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne.
Les réseaux internationaux à l’œuvre : une chaîne globale qui passe par la France
La cocaïne qui arrive en France a parcouru des milliers de kilomètres, depuis les champs de coca en Colombie, au Pérou ou en Bolivie, jusqu’aux ports espagnols d’Algésiras, Valence ou Barcelone, où les cartels sud-américains, en coopération avec des mafias européennes comme les narcos galiciens, organisent la réception et la mise en conteneurs. Le Maroc, quant à lui, alimente massivement le marché européen en résine de cannabis, acheminée via le détroit de Gibraltar et débarquée en Andalousie, avant d’être rapidement expédiée en France.
Ces réseaux complexes reposent sur une collaboration étroite entre groupes criminels sud-américains, mafias espagnoles et filières marocaines, mais c’est en France que s’opère une part essentielle de la revente et de la logistique, entre entrepôts clandestins, rues de grande distribution de stupéfiants et itinéraires de transit vers le nord et l’est de l’Europe.
Une saturation logistique, judiciaire et humaine
Cette montée en puissance du trafic crée une saturation sans précédent. Les axes routiers entre l’Espagne et la France sont constamment encombrés par des convois discrets ou insolites : voitures de sport, minivans, poids lourds, tracteurs agricoles. Les forces de l’ordre sont débordées, dépassées par l’ampleur du phénomène, et les tribunaux croulent sous les dossiers liés au trafic.
Pour la société française, cette situation se traduit par une explosion de la consommation, des violences liées aux trafics et une pression constante sur les services publics. La France est donc à la fois une victime et un acteur incontournable de ce commerce illégal.
Le trafic de drogue entre l’Espagne et la France n’est pas un simple flux clandestin : c’est un système globalisé, structuré, où la France joue un rôle crucial, à la fois de marché, de plateforme logistique et de champ de bataille. Cette réalité impose aux autorités françaises de renforcer leurs moyens, mais aussi de repenser leur stratégie, car tant que la demande en France restera forte, les cartels continueront d’investir le territoire, transformant l’Hexagone en un maillon stratégique incontournable de la chaîne mondiale du narcotrafic.
S.B.



