Le gouvernement travailliste dirigé par Keir Starmer a officialisé, le 10 août, l’extension de son programme controversé « Expulser maintenant, faire appel plus tard » à quinze nouveaux pays, portant le nombre total à vingt-trois États. Cette décision marque un durcissement assumé de la politique migratoire britannique, dans une logique mêlant répression, économie budgétaire et calcul politique. Elle intervient alors même que les Travaillistes avaient vigoureusement dénoncé, un an plus tôt, la politique migratoire des Conservateurs, en particulier l’accord de déportation des migrants vers le Rwanda.
Une promesse de fermeté pour rassurer à droite
Depuis leur arrivée au pouvoir en juillet 2024, les Travaillistes ont placé la question migratoire au cœur de leur stratégie de reconquête du vote populaire et conservateur. En rupture avec leur position traditionnelle, Keir Starmer cherche à démontrer que son parti peut se montrer intraitable sur la sécurité et les frontières, tout en maintenant une façade de respect des droits humains.
C’est dans ce cadre qu’a été relancé et étendu le programme « Expel First, Appeal Later », déjà en vigueur avec des pays comme la Tanzanie, l’Estonie ou le Belize. Ce dispositif permet l’expulsion immédiate de ressortissants étrangers condamnés – sans attendre qu’ils purgent leur peine au Royaume-Uni – tout en leur laissant la possibilité de faire appel depuis leur pays d’origine. Une manière, selon le ministère de l’Intérieur, d’éviter les procédures d’appel interminables qui permettent à certains condamnés de rester des années sur le sol britannique.
Parmi les nouveaux pays partenaires figurent l’Inde, le Liban, le Canada, l’Australie, le Kenya, l’Indonésie ou encore la Malaisie. Des négociations sont en cours avec d’autres États, selon les autorités britanniques.
Une politique autrefois dénoncée par les Travaillistes
Cette stratégie, bien qu’efficace politiquement à court terme, suscite de vives critiques au sein même de l’électorat travailliste et des défenseurs des droits humains. Et pour cause : en 2023, les Travaillistes s’étaient farouchement opposés à l’accord signé par les Conservateurs avec le Rwanda, qui prévoyait d’y transférer les demandeurs d’asile en situation irrégulière, même sans traitement préalable de leur dossier.
Keir Starmer, alors chef de l’opposition, dénonçait un projet « immoral, inefficace et coûteux », estimant que le Royaume-Uni ne devait pas externaliser ses obligations internationales. Un an plus tard, bien que le programme rwandais ait été abandonné sous pression juridique et diplomatique, les Travaillistes optent pour une approche alternative, mais tout aussi expéditive : expulser plus vite, et faire appel plus tard — à distance.
Efficacité discutable, logique budgétaire assumée
Depuis l’entrée en fonction du nouveau gouvernement, plus de 5 200 étrangers condamnés ont été expulsés, soit une hausse de 14 % en un an, selon le Home Office. Mais la portée réelle de ces expulsions fait débat. En effet, selon les règles de chaque pays destinataire, certains condamnés pourraient ne pas purger leur peine à leur retour, soulevant des questions sur la justice pénale et l’effet dissuasif de la mesure.
Du côté de l’exécutif, l’accent est mis sur les économies budgétaires : un prisonnier coûterait en moyenne 54 000 livres par an au Royaume-Uni (plus de 62 000 euros). En réduisant le nombre de détenus étrangers, le gouvernement espère soulager le système carcéral et rediriger les ressources vers d’autres priorités internes.
Une stigmatisation politique des étrangers condamnés ?
Pour de nombreux observateurs, cette politique ne relève pas uniquement de la gestion pénale ou économique, mais bien d’un positionnement politique, dans un contexte de montée des tensions identitaires et de droitisation de l’électorat. Le politologue Ashok Kumar, professeur d’économie politique à l’Université de Londres, dénonce « un climat construit par des années de peur raciale, de rhétorique anti-immigrés et de discours islamophobe », qui, selon lui, a atteint un sommet depuis le début du conflit à Gaza.
Selon lui, le gouvernement travailliste, en adoptant des mesures sécuritaires au nom du contrôle des frontières, contribue à une déshumanisation croissante des populations migrantes, souvent racisées et précarisées, dans une logique purement électoraliste.
Une ligne de fracture au sein de la gauche britannique
Alors que les Travaillistes cherchent à séduire l’électorat centriste et conservateur, une fracture s’installe à gauche, entre les partisans d’un réalisme politique face aux enjeux migratoires, et ceux qui dénoncent une trahison des principes progressistes. La question migratoire devient ainsi non seulement un enjeu de souveraineté et de sécurité, mais aussi un test moral et idéologique pour un parti qui, historiquement, s’est construit autour des valeurs d’inclusion et de justice sociale.
S.B.



