Le rapport annuel de la Banque d’Algérie pour l’exercice 2024, rendu public récemment, met en évidence une trajectoire économique globalement favorable : croissance hors hydrocarbures robuste, inflation nettement ralentie, réserves de change confortables et secteur bancaire liquide. Cependant, derrière ces signaux macroéconomiques positifs, la Banque centrale alerte sur un déséquilibre majeur : l’aggravation sans précédent du déficit budgétaire et la nécessité urgente de renforcer la fiscalité hors hydrocarbures pour préserver la stabilité à moyen terme.
Des indicateurs au vert : une croissance tirée par le hors hydrocarbures
L’économie algérienne a affiché en 2024 un taux de croissance global de 3,6 %, en léger retrait par rapport à 2023 (4,1 %), conséquence directe d’une contraction du secteur des hydrocarbures (-1,4 %). En revanche, le PIB hors hydrocarbures a consolidé sa dynamique, progressant de 4,8 %, contre 4,2 % l’année précédente.
Les performances sont portées par l’agriculture et la pêche (+5,1 %, contre 2,9 % en 2023), les services (+4,5 %, contre 3,8 %), la construction (+3,6 %), et la production et distribution d’électricité et de gaz (+5,8 %).
Seul le secteur industriel a ralenti légèrement, à 5,8 % contre 6,3 % un an plus tôt. Cette résilience s’explique par une demande intérieure soutenue, notamment via l’investissement, selon la Banque centrale.
Inflation sous contrôle et politique monétaire prudente
La Banque d’Algérie met en avant un progrès notable sur le front de l’inflation. Après avoir culminé à 7,2 % en 2023, l’indice des prix à la consommation a chuté à 4,4 % en 2024. La décélération est particulièrement marquée sur les produits agricoles frais, dont la hausse s’est limitée à 2,9 % (après +15,3 % en 2023).
La Banque note des reculs significatifs dans les postes alimentation et boissons, habillement, santé, et éducation-loisirs. Toutefois, certains segments comme les meubles (+5 %) et les biens divers (+12,1 %) restent sources de tensions inflationnistes.
La politique monétaire a été conduite avec prudence : maintien du taux directeur, absorption de liquidités excédentaires au premier semestre, puis injections ciblées dès juillet pour soutenir le financement de l’économie.
Banque solide, finance islamique en expansion
Le système bancaire apparaît solide, liquide et rentable. Les crédits à l’économie ont progressé de 5,3 %, davantage dans les banques privées (+9,6 %) que dans les banques publiques (+4,5 %). Le secteur privé capte désormais près de 60 % des financements.
La finance islamique connaît une progression remarquable : +17 % de dépôts et +16 % de financements. De même, les paiements électroniques poursuivent leur essor, avec +41 % en valeur sur les terminaux de paiement et +61 % sur internet, bien que le recours au cash domine encore.
Solde extérieur équilibré et réserves confortables
La balance des paiements s’est quasiment équilibrée (-0,5 milliard USD), après deux années d’excédents. Ce résultat tient à la fois à la baisse des exportations d’hydrocarbures et à la hausse des importations.
Les réserves de change restent solides à 68,3 milliards USD, couvrant plus de 15 mois d’importations, un niveau jugé confortable. La dette extérieure demeure marginale, à 1,08 % du PIB, préservant l’indépendance financière du pays.
Le talon d’Achille : déficit budgétaire et dépendance aux hydrocarbures
Derrière ces équilibres rassurants, la Banque d’Algérie tire la sonnette d’alarme sur l’état des finances publiques. Le déficit budgétaire s’est creusé à 13,8 % du PIB en 2024, contre 4,2 % en 2023. Ce dérapage est lié à l’effondrement des recettes pétrolières (-31 %) et à une contraction des recettes fiscales hors hydrocarbures (-13,5 %).
Le Trésor a dû puiser massivement dans ses avoirs auprès de la Banque centrale, qui sont passés de 2 918 à seulement 242 milliards de dinars en une année.
Pour l’institution monétaire, l’urgence est claire : élargir l’assiette fiscale hors hydrocarbures et maîtriser la dépense publique afin de garantir la soutenabilité budgétaire.
Un contexte mondial incertain : la vulnérabilité des économies émergentes
Cette alerte prend tout son sens dans un environnement international marqué par une forte volatilité des cours du pétrole. Les prix de l’or noir, soumis aux aléas géopolitiques, aux tensions commerciales et à la transition énergétique, évoluent sans visibilité durable. Pour les économies émergentes comme l’Algérie, cette incertitude renforce la vulnérabilité des finances publiques, encore largement dépendantes des hydrocarbures.
À l’échelle mondiale, la demande pétrolière reste robuste mais de plus en plus imprévisible : ralentissement économique en Chine, incertitudes sur les sanctions visant la Russie, décisions de l’OPEP+, ou encore montée en puissance des énergies renouvelables créent une atmosphère d’instabilité. Dans ce contexte, les économies émergentes à forte rente pétrolière risquent de subir des effets de ciseaux : baisse des recettes d’exportations et hausse des pressions budgétaires.
Entre résilience et vulnérabilité
Le rapport 2024 de la Banque d’Algérie reflète cette dualité : une économie en croissance, mieux diversifiée et monétairement maîtrisée, mais fragilisée par la dépendance persistante aux hydrocarbures et par l’explosion du déficit public.
L’institution appelle à une stratégie claire : accroître la fiscalité hors hydrocarbures, rationaliser la dépense publique et renforcer l’inclusion financière. Sans ces ajustements, la stabilité macroéconomique obtenue au prix d’une politique prudente pourrait être menacée par les chocs extérieurs.
L.R.