L’Algérie vient de franchir un tournant majeur dans sa quête d’autosuffisance alimentaire. Ce lundi 22 septembre, le Premier ministre Sifi Ghrieb a inauguré à Bazoul (commune de Taher, wilaya de Jijel) le complexe Kotama Agri Food du groupe public Madar Holding. Dédiée à la trituration des graines oléagineuses et à la production d’huile de table et de tourteaux pour bétail, cette installation constitue une avancée capitale dans la réduction de la dépendance du pays aux importations et dans la consolidation de sa sécurité alimentaire.
Un outil de souveraineté économique et alimentaire
Le complexe, implanté en partie dans la zone portuaire stratégique de Djen Djen, affiche une capacité nominale de 1,65 million de tonnes/an, réparties entre 1,32 million de tonnes de tourteaux de soja, dont 900 000 tonnes destinées à l’Office national des aliments de bétail (ONAB), et 300 000 tonnes d’huiles brutes, couvrant 25 % de la consommation nationale.
Au total, ce projet permettra de satisfaire 70 % des besoins du pays en tourteaux, élément clé de l’alimentation animale, et de limiter la dépendance aux importations d’huiles de table, un produit de consommation courante et largement subventionné. Une part de 20 % de la production sera exportée, inscrivant l’Algérie dans une logique de compétitivité régionale.
Retombées socio-économiques
L’impact ne se limite pas au plan agricole et alimentaire. Le projet génère 350 emplois directs et 1 500 indirects, principalement dans la wilaya de Jijel. Grâce à sa proximité avec le port en eaux profondes de Djen Djen, il sera également un moteur logistique pour l’importation de matières premières et l’exportation de produits finis.
Pour les autorités, l’usine Kotama est bien plus qu’une unité de production : c’est un levier de développement régional et un outil de stabilisation sociale et économique.
Un investissement de 324 millions de dollars
Le projet a mobilisé un financement total de 42 milliards de dinars (324 millions de dollars), partagé entre 22 milliards DA de fonds propres de Madar (53 %), et 20 milliards DA de prêt bancaire (47 %).
La construction a été confiée à la société chinoise CBMI (EPC), et la technologie de transformation à la firme belge DeSmet, spécialiste mondial des procédés d’extraction d’huiles végétales.
Une histoire marquée par la corruption et la relance
Le projet a une trajectoire chaotique. Initialement lancé par le groupe privé Kouninef, il a été saisi par la justice dans le cadre des affaires de corruption, puis réattribué à Madar Holding en 2021 par le Conseil des participations de l’État.
À la reprise des travaux, seuls 20 % du chantier étaient réalisés, alors que près de 70 % des financements avaient été transférés à l’étranger. « Voilà ce que signifie la dilapidation des fonds publics », a dénoncé le Premier ministre.
Malgré les intempéries, malfaçons, sinistres non assurés et blocages douaniers, les ingénieurs et cadres algériens, épaulés par les partenaires techniques, ont réussi à mener à bien ce chantier.
Mise en perspective internationale : un marché mondial en tension
La construction de ce complexe s’inscrit dans un contexte mondial marqué par une forte volatilité des prix des huiles végétales, en raison des tensions géopolitiques (guerre en Ukraine perturbant le marché de l’huile de tournesol), une demande croissante en tourteaux de soja, indispensables pour l’élevage et la production laitière, notamment en Chine, premier importateur mondial, et une pression accrue sur les pays importateurs du Maghreb et d’Afrique, vulnérables aux fluctuations des marchés mondiaux.
L’Algérie, comme la Tunisie, importe traditionnellement l’essentiel de ses besoins en huiles alimentaires, souvent auprès des géants producteurs que sont le Brésil, l’Argentine, les États-Unis et l’Ukraine. Avec Kotama Agri Food, elle se dote pour la première fois d’une capacité nationale intégrée de transformation, qui lui permettra non seulement de sécuriser son approvisionnement mais aussi d’entrer dans la chaîne d’exportation régionale.
Un symbole de l’«Algérie nouvelle »
Pour les autorités, ce projet est plus qu’un outil industriel : il est le symbole d’une Algérie qui récupère ses actifs pillés et les transforme en leviers de développement.
« L’engagement du président de la République de récupérer les fonds dilapidés se concrétise aujourd’hui, avec des compétences 100 % algériennes », a affirmé le Premier ministre Sifi Ghrieb.
Ce complexe, qui allie dimension économique, technologique et politique, constitue une avancée majeure pour la souveraineté alimentaire. En produisant sa propre huile de table et en sécurisant l’alimentation de son cheptel, l’Algérie se dote d’un instrument clé de résilience face aux crises mondiales et régionales.
L.R.