Face à l’urgence climatique, le géant algérien des hydrocarbures Sonatrach engage un virage stratégique majeur. Objectif affiché : atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, tout en inscrivant son action dans une dynamique de transition écologique responsable. À la croisée des enjeux industriels, environnementaux et géopolitiques, le groupe mise sur un programme de reboisement de grande ampleur, conjugué à une batterie de mesures techniques de réduction des émissions.
« Sonatrach est pleinement consciente de sa responsabilité face aux risques climatiques », a déclaré samedi Fouad Saoudi, directeur du groupe, lors du 2? Forum sur l’économie durable.
Une stratégie climat adossée aux engagements internationaux
Officiellement adoptée en juillet 2024 et consolidée en octobre par la signature de sa politique HSE (Hygiène, Sécurité, Environnement), la stratégie climat de Sonatrach s’aligne sur les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, la Convention-cadre sur les changements climatiques et l’Accord de Paris, dont l’Algérie est signataire.
Elle se fixe pour objectif un équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre (GES) et leur absorption naturelle ou technologique, à l’horizon de la seconde moitié du siècle. Le plan d’action repose sur cinq axes fondamentaux :
- L’efficacité énergétique et la maîtrise de la consommation,
- La réduction des émissions de CO? et de méthane,
- L’intégration renforcée des énergies renouvelables,
- Le développement de carburants à faible émission de carbone et d’hydrogène vert,
- Et surtout, la séquestration du carbone à travers des solutions naturelles comme le reboisement.
Le rôle vital de l’arbre dans la régulation climatique
Au cœur de cette stratégie figure un projet titanesque : le reboisement de 420 millions d’arbres sur 520 000 hectares en dix ans, pour un budget d’un milliard de dollars. Cette initiative environnementale s’inscrit dans une logique bien connue des scientifiques : les arbres sont les alliés naturels de la planète face au réchauffement climatique.
Par le processus de photosynthèse, chaque arbre capte le dioxyde de carbone (CO?) de l’atmosphère et libère de l’oxygène. Un arbre adulte peut absorber en moyenne jusqu’à 25 kg de CO? par an, et créer un microclimat local favorable à la biodiversité, à la conservation des sols et à la régulation hydrologique.
À l’échelle du projet de Sonatrach, cela représenterait potentiellement plus de 10 millions de tonnes de CO? séquestrées annuellement, une contribution significative dans la lutte contre l’effet de serre.
L’Algérie et le reboisement à grande échelle : vers un nouveau cap
Ce projet s’inscrit également dans une dynamique nationale. L’Algérie, confrontée à l’avancée du désert, à la déforestation historique et aux conséquences du changement climatique, cherche depuis plusieurs années à relancer une politique de reboisement grandeur nature. Le programme « Ceinture verte » dans les Hauts Plateaux et la relance du projet du Barrage vert sont autant de tentatives de freiner la dégradation des terres.
Le plan de Sonatrach pourrait ainsi compléter, renforcer et moderniser cette politique en introduisant une approche industrielle, technologique et durable du reboisement, avec des espèces adaptées aux milieux arides, un suivi numérique des plantations et une implication locale des communautés.
Zéro torchage et zéro méthane : un double objectif d’ici 2030
Sur le plan industriel, Sonatrach entend réduire drastiquement ses sources majeures d’émission. Le groupe s’est engagé à éliminer le torchage de routine du gaz d’ici 2030. Entre 2020 et 2023, un milliard de mètres cubes de gaz ont déjà été valorisés au lieu d’être brûlés.
Autre priorité : la réduction du méthane, un gaz à effet de serre 80 fois plus puissant que le CO? à court terme. L’objectif est clair : zéro émission de méthane d’ici 2030. Pour cela, Sonatrach met en œuvre le programme LDAR (Leak Detection and Repair), basé sur des technologies de détection avancées pour traquer les fuites fugitives sur ses installations.
Le virage énergétique vers le solaire et l’hydrogène vert
Le plan climatique s’appuie également sur une diversification énergétique accrue. Deux centrales photovoltaïques sont en cours de développement à Beriane et Oum El Bouaghi, marquant l’entrée de Sonatrach dans la production d’électricité solaire. Des projets de carburants alternatifs et un pôle dédié à l’hydrogène vert sont aussi en développement, dans le cadre d’un partenariat croissant avec les centres de recherche et les acteurs européens.
En parallèle, Sonatrach investit dans la formation continue, la certification environnementale et l’auditing énergétique de ses filiales, afin d’ancrer cette transformation dans une culture d’entreprise durable.
Une ambition nationale sous le regard du monde
À travers ce programme, Sonatrach entend démontrer qu’une entreprise issue du secteur des hydrocarbures peut se réinventer en acteur crédible de la transition écologique. Mais la réussite de cette stratégie dépendra de plusieurs conditions : financements constants, suivi transparent, et surtout une adhésion du tissu économique et social aux mutations en cours.
Dans une Algérie confrontée à la fois aux défis environnementaux, à la raréfaction des ressources et à l’évolution des marchés internationaux de l’énergie, cette démarche pourrait constituer un levier stratégique de souveraineté climatique — si elle passe l’épreuve du terrain.
« C’est un chantier de longue haleine, mais il est crucial pour l’avenir de notre économie et pour la planète », conclut Fouad Saoudi.
L.R.



