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mardi 28 octobre 2025

L’Afrique, nouvel horizon des exportateurs algériens

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La 4ème édition de la Foire commerciale intra-africaine (IATF 2025), organisée à Alger début septembre, n’a pas seulement servi de salon : elle a été cette semaine le théâtre d’un passage à l’acte pour des groupes algériens — signatures de contrats, annonces de partenariats et feuille de route stratégique — qui traduisent la volonté d’utiliser l’Afrique comme relais de croissance et plateforme d’industrialisation du « made in Algeria ». L’événement, conçu par Afreximbank et la Commission de l’Union africaine, se présente comme une opportunité pour accéder à un marché continental de plus de 1,4 milliard de consommateurs et un PIB cumulé estimé à 3,5 000 milliards USD.

Une vitrine opérationnelle : chiffres, signatures et premiers résultats

Organisée du 4 au 10 septembre, l’IATF 2025 a rassemblé des milliers d’exposants et d’acheteurs africains et internationaux autour d’un agenda centré sur le commerce intra-africain, la ZLECAf (AfCFTA) et la facilitation des chaînes de valeur régionales. En marge des stands, plusieurs accords d’exportation et de coopération ont été annoncés par des groupes algériens — preuve que le salon dépasse le simple réseautage pour devenir un mécanisme concret de concrétisation commerciale.

Parmi les retombées les plus médiatisées figurent des contrats importants annoncés par des groupes nationaux : le groupe GISB aurait signé un accord stratégique d’envergure ( 480 millions de dollars) avec Sogelux pour des équipements électriques destinés à l’Afrique de l’Ouest ; Condor a annoncé la signature de plusieurs accords d’exportation évalués à 80 millions USD ; d’autres tentatives et promesses d’affaires pour des sommes significatives (agro-alimentaire, ciment, pharmaceutique) ont été annoncées durant la foire. Ces opérations témoignent d’un basculement : l’Algérie ne se contente plus d’exporter des hydrocarbures, elle place aujourd’hui l’industrie manufacturière et les biens d’équipement au cœur de sa stratégie continentale.

Portraits-repères : entreprises et filières en première ligne

Sur les pavillons algériens, plusieurs « success stories » et projets en cours ont été mis en lumière :

  • GISB (Mostaganem) : ancien acteur industriel reconverti en exportateur d’équipements électriques — fils et câbles, transformateurs, solutions pour énergies renouvelables — et au centre d’un contrat majeur avec des partenaires ouest-africains.
  • Condor : multilatéral dans l’électroménager et les solutions de climatisation centrale, la société met l’accent sur la distribution et l’après-vente pour conquérir marchés de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de l’Égypte et de la Mauritanie.
  • GETEX (Textile & Cuir), MFG (Mediterranean Float Glass – Cevital), BCR (boulonnerie, robinetterie) et de jeunes PME (ex. Perfect Max Industry) ont montré comment la modernisation des outils de production et l’adaptation aux standards internationaux font basculer ces filières vers l’export.

Ces entreprises illustrent deux dynamiques : la capacité à honorer des commandes de grande taille (équipements, ciment, verre) et la montée des PME orientées vers des produits de consommation à forte valeur ajoutée.

Stratégies de promotion : comment « vendre » l’Algérie en Afrique

Les exposés et ateliers de l’IATF révèlent une palette coordonnée de leviers que les entreprises algériennes — et l’État — utilisent pour s’implanter :

  1. Présence physique et B2B ciblé : salons régionaux, workshops sectoriels et roadshows (IATF, pavillons nationaux, workshops Afreximbank) pour générer des leads qualifiés et conclure des contrats-cadres.
  2. Marque et labellisation : montée en gamme des signatures qualité (ISO, marquages CE quand nécessaire), traçabilité et emballages adaptés aux marchés locaux pour lever les freins douaniers et réglementaires.
  3. Marketing digital et distribution locale : mix d’e-commerce transfrontalier, réseaux de distributeurs locaux et solutions de paiement adaptées (mobile money en Afrique subsaharienne).
  4. Plateformes institutionnelles : rôle actif de l’Agence algérienne de promotion de l’investissement (AAPI), du ministère du Commerce extérieur et des chambres de commerce pour organiser les rencontres d’affaires et appuyer la diplomatie économique.
  5. Incitations commerciales : packaging d’incitations (assistance à la logistique, facilitation des certificats d’origine, appui à la conformité), et recours aux facilités de financement et garanties pour rassurer les acheteurs africains.

Stratégies d’investissement : financement, localisation et partenariats

La conquête du marché africain passe par des décisions d’investissement ciblées :

  • Financement du commerce : Afreximbank et d’autres institutions panafricaines proposent des lignes de crédit, garanties et fonds sectoriels (notamment pour PME et femmes exportatrices) permettant d’assurer des paiements et d’échelonner la livraison des marchés hors d’Algérie. Les acteurs algériens se sont engagés à mobiliser ces instruments pour sécuriser les contrats signés à l’IATF.
  • Localisation partielle (assemblage / co-production) : construire des unités d’assemblage ou des joint-ventures dans les pays cibles permet de réduire les coûts logistiques, contourner des barrières tarifaires et gagner en compétitivité locale. Plusieurs groupes présents à l’IATF évoquent cette tactique pour l’Afrique de l’Ouest.
  • PPP et chaînes d’approvisionnement : accords publics-privés pour infrastructures (ports, entrepôts, corridors routiers) afin de maîtriser la chaîne logistique et garantir la régularité des livraisons, facteur-clé pour les acheteurs africains. Le ministre du Commerce a d’ailleurs souligné le rôle des infrastructures pour l’intégration économique.
  • Capital-risque et modernisation industrielle : le redémarrage d’unités publiques et la modernisation (GETEX, MFG) sont souvent financés via fonds publics ou PPPs ; les investisseurs étrangers regardent favorablement des usines rénovées capables d’exporter à grande échelle.

Ciblage du marché africain : qui viser, comment et pourquoi

Les entreprises algériennes ciblent des segments et des zones prioritaires :

  • Afrique francophone de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Sénégal, Burkina, Mali) : forte demande de biens d’équipement électriques, matériaux de construction, appareils électroménagers — logique linguistique et commerciale. (plusieurs contrats observés avec la Côte d’Ivoire et le Sénégal).
  • Libye et pays du Maghreb : proximité géographique et besoins massifs en ciment, matériaux de construction et biens alimentaires.
  • Afrique de l’Est (Éthiopie, Kenya) : marché en forte croissance pour produits industriels et énergies renouvelables — opportunités pour le matériel électrique et solaire.
  • Segments sectoriels : énergie et renouvelables, infrastructures (ciment, acier, verre), électroménager & climatisation (Condor), agro-alimentaire et pharmaceutique (contrats pharmaceutiques attendus), et biens de consommation emballés. La tactique recommandée : partir d’un « hub régional » (ex. Abidjan, Dakar, Lagos) en s’appuyant sur distributeurs locaux, construire une offre logistique et proposer des contrats-cadres de maintenance et de formation.

L’Afrique comme destination : potentialités et facteurs d’attraction

Pourquoi l’Afrique attire-t-elle aujourd’hui les grands investisseurs mondiaux ? Plusieurs raisons convergent :

  • Marché massif et jeune : 1,4 milliard d’habitants avec des segments de consommation en croissance (urbanisation, classe moyenne émergente).
  • Ressources naturelles et transition énergétique : minerais critiques (cobalt, lithium, terres rares), potentiel solaire et hydroélectrique, et projets phares (barrages, centrales) qui créent des opportunités pour la fabrication d’équipements et l’industrialisation verte. Les récents sommets et projets témoignent d’un intérêt croissant pour le « green boom » africain.
  • Intégration régionale (AfCFTA / ZLECAf) : la zone de libre-échange continentale promet de réduire progressivement les barrières tarifaires intra-africaines, créant des économies d’échelle attractives pour les investisseurs prêts à se positionner sur des chaînes de valeur régionales. L’IATF sert précisément de plateforme d’accélération de cette dynamique.
  • Financement panafricain : institutions comme Afreximbank offrent des produits adaptés au risque régional, ce qui réduit le frein du financement commercial.

Freins et risques à anticiper

Toutefois, la route est semée d’obstacles que les exportateurs algériens devront négocier :

  • Logistique et coûts de transport : malgré des améliorations, le coût et la fiabilité du transport demeurent un handicap pour la compétitivité prix (importance des corridors, capacités portuaires).
  • Normes et conformité : exigences sanitaires, techniques et de sécurité qui varient fortement d’un pays à l’autre ; nécessité d’investir en certification et contrôle qualité.
  • Risque pays et paiement : volatilité des monnaies locales, risques politiques et retards de paiement : solutions = garanties bancaires, assurance-crédit, recours à Afreximbank.
  • Approvisionnement en intrants : dépendance à certains composants importés expose les producteurs algériens à chocs d’approvisionnement ; la montée en amont des chaînes (local sourcing) est stratégique.

Feuille de route : recommandations concrètes pour accélérer la conquête africaine

Pour transformer les annonces en croissance durable, on peut citer des mesures opérationnelles :

  1. Cartographier les marchés cibles (par produit) et fixer des priorités territoriales (ex. équipement électrique ? Côte d’Ivoire/Sénégal ; ciment ? Libye/Mauritanie).
  2. Systématiser les contrats-cadres (maintenance + pièces détachées) pour sécuriser les clients africains et fidéliser.
  3. Monter des équipes locales de distribution et SAV : presence after-sales = avantage compétitif.
  4. S’appuyer sur les outils de financement africains (Afreximbank, fonds régionaux) pour garantir les flux et alléger le risque commercial.
  5. Investir dans la conformité (certifications, tests, packaging) et la digitalisation commerciale (e-commerce B2B, suivi logistique).
  6. Favoriser la co-localisation (assemblage ou co-production) avec partenaires locaux pour réduire coûts et droits, et bénéficier des marchés protégés.

De l’exposition à l’implantation

L’IATF 2025 a illustré un basculement stratégique : l’Algérie s’emploie aujourd’hui à convertir ses capacités industrielles modernisées en conquêtes commerciales intra-africaines. Entre annonces de contrats significatifs, dispositifs institutionnels (AAPI, ministère du Commerce) et opportunités offertes par la ZLECAf, la trajectoire est claire — mais l’essentiel reste d’assurer la traduction opérationnelle (logistique, financement, conformité) de ces ambitions sur le long terme. Si les actes observés à Alger se prolongent par des investissements locaux et des partenariats solides, l’Algérie peut, à la fois, diversifier ses exportations et occuper une place d’exportateur industriel sur le continent.

S.B.

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