Après Jijel, le Premier ministre poursuit sa politique de relance industrielle en réintégrant dans le circuit économique des projets saisis lors des grands procès anti-corruption. Une stratégie affichée « de terrain » et tournée vers la création d’emplois.
Pour sa deuxième sortie sur le terrain depuis sa nomination, le Premier ministre Sifi Ghrieb a lancé le 7 septembre une série de projets industriels dans la wilaya de M’sila, dont la remise en service d’une grande usine de production de rond à béton, récupérée par l’État à la suite d’une confiscation judiciaire. En accompagnant la réhabilitation et la mise en exploitation de sites auparavant bloqués, le chef du gouvernement veut faire de la reconversion des biens confisqués un levier de relance économique et d’emploi.
Une tournée qui confirme une stratégie
Nommé Premier ministre par intérim à la fin du mois d’août, puis confirmé à la mi-septembre, Sifi Ghrieb multiplie les sorties sur le terrain pour accélérer la relance industrielle. Après une première opération d’inauguration à Jijel — où il avait lancé, le 22 septembre, un complexe de trituration de graines oléagineuses — le Premier ministre s’est rendu ce mardi 7 septembre à M’sila. Sur place, il a mis en avant une feuille de route centrée sur la remise en circulation des projets d’investissement saisis à l’ancienne oligarchie et bloqués depuis plusieurs années dans le cadre des procédures judiciaires ouvertes depuis 2019.
Présenté à plusieurs reprises par le chef de l’État comme « un Premier ministre de terrain », Sifi Ghrieb affirme vouloir tirer parti de son parcours dans le management industriel pour rapprocher les décisions gouvernementales des réalités économiques locales.
« Nous ouvrons une nouvelle page dans le processus de développement national en relançant les projets bloqués et en les réintégrant dans le cycle économique », a-t-il déclaré lors de la visite.
L’usine de rond à béton (Fondal) : rénovation, capacité et retombées
Au centre de la visite figurait la remise en service d’une grande unité de production de rond à béton, désormais exploitée par Fonderies algériennes (Fondal), filiale de la Société nationale de sidérurgie (SNS). Implantée à Draa El Hadja, commune de M’sila, l’usine s’étend sur une assiette de 23,9 hectares et a fait l’objet d’une opération de rénovation estimée à 226 millions de dinars.
Selon les chiffres communiqués lors de l’inauguration, la chaîne rénovée devrait permettre la création de 450 emplois directs et atteindre une production annuelle de 650 000 tonnes de rond à béton. La valeur ajoutée attendue au produit intérieur brut national a été évaluée à 5,7 milliards DA.
Le projet s’inscrit dans la logique de récupération d’actifs économiques mis sous séquestre à l’issue des grands procès anti-corruption engagés depuis 2019 : l’usine, auparavant appartenant à un groupe privé aujourd’hui considéré comme relevant de l’ancienne oligarchie, a été confisquée par la justice et transférée à l’État avant d’être affectée à Fondal.
Pour les autorités, la réhabilitation de cette unité constitue un double enjeu : d’une part, remettre sur le marché national une capacité industrielle stratégique pour le secteur de la construction ; d’autre part, démontrer que les fonds publics récupérés via les procédures judiciaires peuvent être transformés en bénéfices tangibles pour la population (emplois, production locale, contribution au PIB).
Euro Truck Parts : vers une chaîne de sous-traitance nationale
Parallèlement, Sifi Ghrieb a inauguré, à Magra, une unité de fabrication de garnitures de frein exploitée par le groupe Debih sous l’enseigne Euro Truck Parts. L’usine, implantée sur 2,4 hectares, représente un investissement d’environ 550 millions DA.
Les capacités annoncées sont une production mensuelle estimée à 171 000 éléments de freinage et la création d’environ une centaine d’emplois directs.
Le PDG du groupe Debih, Hamza Debih, a salué la politique étatique visant à lever les obstacles à l’investissement et à favoriser l’intégration locale des chaînes de valeur. Selon lui, ces initiatives visent à « asseoir une véritable industrie automobile, augmenter le taux d’intégration et réduire la facture d’importation ».
Le Premier ministre a profité de l’inauguration pour rappeler la nécessité d’un référentiel national d’intégration des pièces de rechange, en cours d’élaboration et promis pour la fin de l’année. L’objectif affiché : consolider un réseau national de sous-traitance capable de fournir des composants conformes aux spécifications techniques et adaptés aux exigences locales d’utilisation et de climat.
Normes, qualité et formation : les facteurs de pérennité
Sifi Ghrieb a insisté sur la « conformité des produits aux normes exigées » et sur la nécessité d’effectuer certains tests supplémentaires « liés aux facteurs climatiques ou à la nature de l’utilisation ». Ces remarques mettent en relief les défis techniques à relever pour garantir la compétitivité des produits nationaux, en particulier dans le secteur automobile où la sécurité et la durabilité sont déterminantes.
La formation d’une main-d’œuvre qualifiée est un autre volet prioritaire souligné par le chef du gouvernement, conformément aux orientations présidentielles pour le développement de l’industrie mécanique. À court terme, il s’agit de combler le déficit de compétences pour assurer la montée en gamme des produits et permettre une montée progressive du taux d’intégration locale.
Simultanément, l’activation du guichet unique a été présentée comme un instrument clé pour simplifier les procédures administratives, faciliter l’investissement industriel et accélérer la mise en exploitation des projets.
Contexte judiciaire : des biens confisqués réintégrés à l’économie
Les projets inaugurés à M’sila et à Jijel (le complexe de trituration de graines oléagineuses de Madar) font partie d’un ensemble d’actifs récupérés par l’État à la suite d’enquêtes et de procédures judiciaires liées à la lutte contre la corruption, entamées avec vigueur depuis 2019. Ces dossiers ont conduit à la confiscation de plusieurs entreprises et biens appartenant à des acteurs parfois désignés comme « l’ancienne oligarchie ».
La stratégie gouvernementale consiste désormais à transformer ces actifs en leviers économiques et sociaux — par la rénovation, la gestion publique ou la cession à des structures publiques, avec pour objectif la création d’emplois et la relance des chaînes de production locales.
Lors de son allocution, Sifi Ghrieb a rappelé l’engagement pris précédemment à Jijel : relancer l’ensemble des projets confisqués et veiller à ce que les fonds publics récupérés bénéficient effectivement aux citoyens.
Analyse : quels effets attendus et quels risques ?
Effets attendus
- Emploi local : la remise en état de capacités industrielles permettra la création d’emplois directs (450 pour Fondal, ~100 pour Euro Truck Parts) et d’emplois indirects dans les sous-traitances et services associés.
- Réduction des importations : en produisant localement des composants et matériaux (rond à béton, garnitures de frein), l’Algérie peut réduire sa dépendance aux importations et améliorer sa balance commerciale.
- Relance productive : l’intégration d’unités industrielles auparavant dormantes renforce la capacité productive nationale, utile pour les grands chantiers publics et le secteur privé.
Risques et défis
- Conformité et compétitivité : sans respect strict des normes et procédures d’essai, la production nationale pourrait être exclue des marchés (nationaux ou régionaux).
- Gestion et gouvernance : la réussite dépendra de la gouvernance des unités remises en exploitation — efficacité managériale, transparence dans les marchés et maintenance des équipements.
- Financement et pérennité : la rénovation ponctuelle est une étape ; la durabilité exige des fonds pour l’entretien, le renouvellement des outils et la formation continue des salariés.
La visite de Sifi Ghrieb à M’sila illustre une démarche gouvernementale claire : transformer les procédures judiciaires de confiscation en opportunités de développement concret. En réhabilitant des capacités industrielles et en promouvant l’intégration locale, l’exécutif cherche à conjuguer justice économique et relance productive. Reste à transformer ces inaugurations médiatiques en succès industriels durables — cela passera par la qualité, la gouvernance, la formation et la capacité à intégrer ces unités dans des chaînes de valeur pérennes.
L.R.



