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dimanche 26 octobre 2025

Une station de dessalement d’eau livrée en 24 mois chrono

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L’Algérie accélère son virage hydrique. Grâce à l’expérience acquise par l’ADC (Algerian Desalination Company), les nouvelles stations de dessalement d’une capacité de 300 000 m³ peuvent désormais être construites en seulement vingt-quatre mois. Un délai record qui incarne la volonté du pays d’assurer sa souveraineté en eau et de couvrir, à terme, 60 % des besoins nationaux en eau potable grâce à l’océan.

L’Algérie accélère sa marche vers l’autonomie hydrique. Après avoir lancé, entre 2020 et 2022, cinq stations de dessalement dans le cadre d’un programme d’urgence, le pays se prépare à ouvrir un nouveau cycle d’investissements massifs.
Dimanche dernier, le président de la République a tranché : trois nouvelles stations seront construites à Chlef, Mostaganem et Tlemcen, des wilayas particulièrement touchées par la raréfaction de l’eau dans l’Ouest du pays. À terme, six grandes stations verront le jour dans le cadre du deuxième programme complémentaire de dessalement, portant la capacité nationale à 1,8 million de mètres cubes d’eau potable par jour, soit 60 % des besoins nationaux.

Des délais record : 300 000 m³ en 24 mois

Selon Ahmed Kettab, expert international en hydrologie et directeur de recherche à l’École polytechnique d’Alger, les capacités acquises par la société publique de dessalement, aujourd’hui ADC (Algerian Desalination Company), permettent de réaliser une station de 300 000 m³/jour en seulement deux ans.

« L’expérience de l’ex-AEC, devenue ADC, nous permet aujourd’hui d’atteindre des délais de 24 mois pour une station de grande capacité », a affirmé M. Kettab sur les ondes de la Chaîne III.

Ce rythme soutenu illustre la maturité industrielle et technologique atteinte par les équipes nationales, désormais capables de concevoir, construire et gérer des infrastructures complexes sans dépendance étrangère majeure.

Deux décennies d’expérience et une stratégie assumée

Le recours au dessalement n’est pas nouveau. L’expert rappelle qu’il remonte à la crise hydrique de 2002, lorsque les barrages du pays s’étaient retrouvés presque à sec. L’État avait alors opté pour des stations monoblocs importées de petite capacité (5 000 à 10 000 m³/jour).
Dix ans plus tard, en 2011-2012, l’Algérie comptait déjà 11 stations totalisant 2,2 millions de m³ par jour.
Ce socle d’expérience, conjugué à une politique publique volontariste, a permis de structurer une filière nationale. Aujourd’hui, le dessalement est devenu un pilier de la sécurité hydrique, au même titre que les barrages ou le transfert inter-bassins.

Une ambition chiffrée : 9 millions d’habitants alimentés à l’Ouest

Les trois futures stations de Chlef, Mostaganem et Tlemcen, d’une capacité de 300 000 m³ chacune, alimenteront près de 9 millions d’habitants, à raison de 100 litres d’eau potable par jour et par personne.
Leur localisation dans la façade ouest répond à une logique d’équilibrage territorial : cette région, plus sèche que le centre et l’est, subit depuis plusieurs années un déficit pluviométrique chronique.

Kettab précise que les réseaux d’adduction atteignent déjà 150 kilomètres vers le sud depuis les stations côtières, et que la volonté présidentielle est désormais d’étendre cette portée à 250 kilomètres, pour irriguer l’arrière-pays et les zones semi-arides.

Une vision intégrée de la distribution

Ce prolongement logistique traduit une philosophie d’équité hydrique : faire du dessalement un instrument d’aménagement du territoire, et non un privilège des zones littorales.
Les nouvelles conduites principales, soutenues par des réservoirs et stations de pompage intermédiaires, permettront à terme de sécuriser les wilayas intérieures les plus touchées par la pénurie, comme Tiaret, Saïda, Mascara ou Sidi Bel Abbès.

L’apport du deuxième programme : 2,8 milliards USD et énergie solaire

Mouloud Hachlaf, assistant du PDG de la Société algérienne de dessalement de l’eau de mer, précise que ce programme complémentaire mobilisera un investissement global de 2,8 milliards de dollars.
Sa particularité majeure : l’intégration des énergies renouvelables.
Entre 30 et 35 % de la consommation électrique des stations sera couverte par le solaire photovoltaïque dès cette phase, avec une ambition d’autonomie énergétique totale (100 %) à moyen terme.

Cette innovation s’impose d’autant plus que l’énergie représente près de 30 % du coût global de production de l’eau dessalée.
L’objectif est donc double : réduire les coûts d’exploitation et minimiser l’empreinte carbone du dessalement, en s’inscrivant dans le vaste plan de transition énergétique engagé par l’Algérie.

De la dépendance à la souveraineté technologique

La création de l’ADC marque une étape institutionnelle clé.
Dérivée de l’ex-Algerian Energy Company (filiale de Sonatrach), l’entreprise est devenue un acteur national autonome, chargé exclusivement du développement et de l’exploitation du parc de dessalement.
Selon Hachlaf, cette restructuration incarne « le passage d’un partenariat sous assistance étrangère à une gestion souveraine et intégrée ».
Les ingénieurs, techniciens et chercheurs algériens assurent désormais toutes les étapes du cycle de vie des installations, de la conception au pilotage.

Des retombées économiques concrètes

Le premier programme (2021–2025) a déjà créé près de 10 000 emplois et mobilisé plusieurs centaines d’entreprises nationales de sous-traitance.
Il a entraîné la modernisation d’infrastructures locales : routes, réseaux électriques, couverture Internet, zones industrielles de maintenance.
En parallèle, les universités et centres de recherche ont renforcé leurs programmes en hydraulique, traitement de l’eau et énergies renouvelables, créant un écosystème scientifique et industriel durable.

Des défis à relever : énergie, rejets et gouvernance

Malgré l’élan positif, le recours massif au dessalement s’accompagne de défis structurels, à savoir la consommation énergétique élevée : même partiellement compensée par le solaire, elle impose une optimisation continue des procédés d’osmose inverse, le rejets salins (saumure) : leur dilution en mer doit être contrôlée pour préserver les écosystèmes littoraux, le transport à longue distance : les pertes hydrauliques et les coûts de maintenance des conduites doivent être anticipés et la gouvernance et transparence : la tarification, le financement mixte public/privé et le suivi environnemental nécessitent des cadres réglementaires solides.

Ces aspects conditionneront la durabilité économique et écologique de la filière.

Une réponse au dérèglement climatique

Le dessalement est désormais considéré comme un levier d’adaptation climatique.
Les projections du GIEC prévoient une baisse de 20 % des précipitations d’ici 2050 sur la bande nord-africaine, conjuguée à une intensification des sécheresses.
Les barrages, dont le taux de remplissage a chuté ces dernières années, ne suffisent plus.
Le dessalement devient donc le pivot d’un nouveau modèle hydrique reposant sur la diversification des sources : mer, eaux usées traitées, nappes profondes et réutilisation agricole.

Perspectives : vers une Algérie hydriquement souveraine

Si les six stations du deuxième programme sont livrées dans les délais — 24 mois pour chaque unité —, l’Algérie disposera d’ici 2027 d’un réseau national de 14 stations capables de couvrir près des deux tiers des besoins domestiques.
C’est une mutation structurelle : l’eau issue de la mer pourrait devenir la principale ressource du robinet algérien.

Reste à assurer la pérennité financière et écologique du modèle :
comment maintenir des coûts accessibles, valoriser la saumure, et garantir un partage équitable entre les régions ?
Les réponses à ces questions détermineront si le dessalement restera une solution d’urgence ou s’imposera comme un pilier durable de la souveraineté nationale.

En deux décennies, l’Algérie est passée d’un recours ponctuel au dessalement à une politique nationale structurée et souveraine.
Les ambitions affichées — 60 % d’eau potable issue de la mer, stations construites en 24 mois, intégration solaire à 35 % — traduisent la volonté de faire du dessalement un vecteur d’indépendance et de stabilité hydrique.
Mais cette prouesse technique devra s’accompagner d’une gouvernance exemplaire, d’une rigueur environnementale et d’un investissement continu dans la science.
Entre urgence climatique et vision stratégique, l’Algérie dessine les contours d’un nouvel âge bleu.

L.R.

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