Les 27 et 28 octobre, le ministère de l’Agriculture, du Développement rural et de la Pêche tient au Centre international des conférences Abdelatif-Rahal une conférence nationale consacrée à la modernisation du secteur agricole. Plus qu’un simple colloque technique, cette réunion apparaît comme un moment charnière : face à la double pression du changement climatique et de la nécessité d’assurer la sécurité alimentaire, l’exécutif veut traduire en mesures opérationnelles une nouvelle vision de l’agriculture algérienne, centrée sur l’innovation, la gouvernance et la gestion efficiente des ressources.
Ambition et objectifs : de la vision aux solutions pratiques
Selon le communiqué du ministère, l’objectif principal est d’« examiner les moyens de développer le système sectoriel pour réaliser une sécurité alimentaire durable ». La conférence vise à produire des recommandations concrètes sur plusieurs volets : intégration des nouvelles technologies pour améliorer productivité et rentabilité, optimisation de l’utilisation de l’eau, modernisation des équipements et infrastructures, développement de mécanismes de financement adaptés, et numérisation du secteur jusqu’à la commercialisation.
Autrement dit, il s’agit de passer d’un discours sur la modernisation à des feuilles de route tangibles, capables d’être déployées à différentes échelles — des exploitations familiales aux infrastructures d’irrigation et aux chaînes logistiques. Le format prévoit la confrontation de regards : experts nationaux et internationaux, chercheurs, décideurs publics, représentants du secteur privé et acteurs du monde rural seront réunis pour croiser diagnostics et solutions.
Thématiques clefs : technologies, eau, financement, foncier
Trois axes émergent comme prioritaires.
D’abord, la technologie : capteurs, irrigation de précision, plateformes de gestion des exploitations, et outils de prévision (météo, rendement). La modernisation passe par l’adoption de technologies permettant d’augmenter les rendements tout en réduisant intrants et coûts, notamment pour les petites exploitations qui constituent la majorité du tissu agricole.
Ensuite, l’eau : la raréfaction de la ressource en zone méditerranéenne impose d’optimiser chaque litre. Le débat portera sur la rénovation des réseaux d’irrigation, le développement d’ouvrages de stockage, la réutilisation des eaux traitées, et la généralisation de systèmes d’irrigation économes. L’enjeu est à la fois productif et stratégique : garantir des récoltes régulières tout en préservant les nappes.
Enfin, le financement et la gouvernance du foncier. La modernisation nécessite des moyens : crédits adaptés, assurances récolte, incitations fiscales, et partenariats public-privé. La conférence abordera aussi la réorganisation du ministère et des établissements publics sous tutelle pour améliorer la coordination, ainsi que la gestion du foncier agricole — un point sensible dans la transition vers des pratiques plus productives et durables.
Biotechnologies et adaptation aux changements climatiques
La conférence mettra également l’accent sur l’utilisation des biotechnologies pour développer des variétés résistantes à la sécheresse, aux parasites et adaptées aux sols locaux. L’approche proposée est pragmatique : combiner sélection conventionnelle et innovations biotechnologiques en veillant à encadrer les pratiques pour répondre aux normes sanitaires et environnementales.
Conséquences pour les agriculteurs et les territoires ruraux
Les attentes sont élevées du côté des agriculteurs : modernisation rime avec hausse de revenus, diminution des pertes post-récolte et meilleure intégration aux marchés. Toutefois, la réussite dépendra de l’accompagnement : formation, accès au crédit, adaptation des outils aux petites exploitations et infrastructures locales. Sans ces conditions, la modernisation risquerait de renforcer les inégalités entre exploitations et territoires.
Pour les zones rurales, la transition peut être porteuse d’emplois et de services : maintenance des équipements, services de conseil agricole, industries agro-alimentaires locales. Mais elle nécessite une politique cohérente d’aménagement territorial et d’incitation à l’investissement.
Contraintes et défis : ce qui freine la transformation
Plusieurs freins structurels sont à relever. La fragmentation des exploitations, l’insuffisance des infrastructures (stockage, routes, chaînes du froid), l’accès limité au financement pour les petits producteurs, et des procédures administratives lourdes pèsent sur la transformation. Par ailleurs, la question du foncier — sécurisation des droits, incitations à l’investissement — reste centrale.
La mise en oeuvre d’innovations nécessite aussi une forte capacité administrative et technique au sein des services publics et des organisations professionnelles. Sans renforcement des compétences, les programmes risquent de stagner à l’état de bonnes intentions.
La réussite de la conférence dépendra de la capacité du ministère à traduire les recommandations en plans opérationnels avec des indicateurs clairs, des calendriers et des budgets affectés. La restructuration interne annoncée doit déboucher sur une gouvernance plus agile, une coordination plus nette entre opérateurs publics et un mécanisme de suivi-évaluation ouvert aux partenaires (universités, centres de recherche, secteur privé).
À l’échelle régionale, une agriculture algérienne modernisée réduit la vulnérabilité alimentaire et renforce la résilience face aux chocs externes (crises climatiques, fluctuations des prix). Sur la scène internationale, la capacité du pays à sécuriser sa production peut aussi constituer un levier diplomatique et économique : exportations ciblées, partenariats techniques et investissements étrangers.
La conférence des 27 et 28 octobre marque un moment important : elle fixe des priorités et ouvre des espaces de coopération entre acteurs. Mais la transformation demandée est de long terme. Son succès exigera une traduction rapide des décisions en mesures opérationnelles, un engagement financier soutenu, et surtout une attention particulière aux petits exploitants et aux territoires ruraux. Sans cela, la modernisation restera un dossier technique puissant sur le papier mais fragile dans la réalité des champs.
L.R.



