En Algérie, la majorité des déchets ménagers — près de 60 % — sont d’origine organique, mais échappent encore à toute forme de valorisation. Compostage, méthanisation, fertilisants naturels : les gisements sont là, les solutions existent, mais le pays accuse un sérieux retard. Avec la mise en place de nouvelles unités de traitement et un cadre législatif renouvelé, les autorités espèrent amorcer enfin une transition vers une économie circulaire plus durable et inclusive.
Le taux de valorisation des déchets en Algérie plafonne à un modeste 10%, en dépit d’un potentiel largement sous-exploité. Mais un tournant pourrait s’amorcer avec l’adoption d’un nouveau cadre législatif plus ambitieux, a déclaré Fatma-Zohra Barssa, directrice générale de l’Agence nationale des déchets, invitée ce mercredi à l’émission « L’Invité du matin » sur la chaîne I de la radio algérienne.
Selon Mme Barssa, les limites de l’actuelle législation, en vigueur depuis plus de vingt ans, sont aujourd’hui criantes face aux mutations économiques, sociales et urbaines du pays. Sur les millions de tonnes de déchets générés chaque année, environ 30% sont constitués de matières sèches potentiellement recyclables – principalement le fer, le plastique et le verre – mais seuls 10% de l’ensemble des déchets produits sont effectivement valorisés.
La ferraille arrive en tête des matières recyclées, grâce à un réseau opérationnel au niveau des centres de tri et de stockage. Le plastique connaît également un intérêt soutenu, stimulé par la présence d’un nombre significatif d’acteurs industriels. En revanche, le secteur du recyclage du verre reste embryonnaire, avec seulement trois investisseurs actifs à l’échelle nationale. Un chiffre jugé alarmant par Mme Barssa, qui plaide pour l’implication accrue des jeunes diplômés et des start-up dans cette filière prometteuse.
Autre enjeu de taille : les déchets organiques, qui représentent environ 60% des ordures ménagères. L’absence de filières de valorisation adaptées rend ce volume particulièrement préoccupant. Pour y remédier, le ministère de l’Environnement et de la Qualité de vie déploie une stratégie axée sur le compostage, avec des unités de traitement déjà opérationnelles dans les wilayas de Mascara, Mostaganem et Sidi Bel Abbès, et d’autres en cours de réalisation à Médéa et El Oued.
Une réforme législative structurante : la loi 25-02
Le nouveau projet de loi 25-02, approuvé en février 2025, marque une inflexion majeure dans la gouvernance du secteur. Il introduit le principe de responsabilité élargie du producteur (REP), engageant les entreprises à prendre en charge l’ensemble du cycle de vie de leurs produits. Ce texte prévoit également la mise en œuvre d’une stratégie nationale de gestion des déchets, ainsi qu’un système d’information numérique centralisé, destiné à fournir des données actualisées sur la nature, la provenance et la quantité des déchets collectés à travers le territoire.
« Ce nouveau cadre légal élargit considérablement les prérogatives du ministère, notamment en matière de financement et de définition des responsabilités des producteurs », a précisé Mme Barssa, ajoutant que des décrets d’application sont en cours d’élaboration pour permettre la pleine entrée en vigueur du dispositif.
L’Agence nationale des déchets a également mis en service une plateforme numérique dédiée à la traçabilité des déchets, couvrant l’ensemble du processus de collecte, de transport et de traitement. Ce système permet un suivi géographique en temps réel, des quartiers jusqu’aux wilayas, en passant par les communes et les daïras. Il offre également une cartographie des acteurs économiques impliqués dans la valorisation, ce qui facilitera le ciblage des investissements et le développement des filières émergentes.
À l’approche de l’Aïd el-Adha, le ministère de l’Environnement, en coordination avec le ministère de l’Industrie, a lancé un programme spécial pour la collecte des peaux de moutons, un type de déchet à forte valeur ajoutée lorsqu’il est correctement pris en charge. Ce plan mobilise des moyens logistiques dédiés pour la collecte, le transport et la livraison des peaux vers des structures spécialisées dans leur valorisation. Des campagnes de sensibilisation sont également menées auprès des citoyens pour les inciter à saliniser les peaux et les déposer dans des sacs plastiques aux points de collecte identifiés.
Tri sélectif : de l’expérimentation à la généralisation
Enfin, Mme Barssa est revenue sur les projets pilotes de tri sélectif initiés entre 2013 et 2015 dans certains quartiers et établissements publics. Bien que confrontées à des limites logistiques, ces expériences ont permis de sensibiliser une partie de la population à l’importance du tri à la source. La généralisation du tri sélectif demeure un objectif à moyen terme, avec la perspective d’un déploiement progressif, conditionné à l’amélioration des infrastructures de collecte.
Face à un système de gestion des déchets encore balbutiant, l’Algérie s’engage résolument sur la voie de la modernisation et de la responsabilisation. Le nouveau cadre législatif, conjugué à une volonté politique manifeste, pourrait ouvrir la voie à une économie circulaire plus efficiente et inclusive, tout en répondant aux exigences croissantes en matière de durabilité environnementale.
L.R.



