Après dix-huit mois de tractations et un accord de principe signé le 13 juin 2024, Sonatrach et l’Américain Chevron se rapprochent de la conclusion du volet commercial du contrat d’hydrocarbures qui ouvrira, si la formalisation est menée à terme, la voie à l’implantation du géant pétrolier sur le marché gazier algérien. Les récentes rencontres de haut niveau, à Alger, confirment une accélération des négociations et traduisent la volonté commune d’entrer désormais dans une phase opérationnelle.
Une étape décisive : le volet commercial, dernier obstacle formel
Le cœur des discussions porte aujourd’hui sur les modalités commerciales du partenariat — partage de la production, mécanismes de prix, calendrier d’investissement, clauses de gouvernance et garanties juridiques. Selon le communiqué publié par Sonatrach après la visite, la rencontre entre Frank Mount, directeur exécutif du développement commercial de Chevron, et Noureddine Daoudi, le nouveau PDG de Sonatrach, a permis de « faire le point » sur l’état d’avancement des négociations. Formellement, il s’agit donc de franchir « la dernière ligne » avant la signature définitive d’un contrat qui lèverait l’incertitude sur l’entrée effective de Chevron sur les bassins d’Ahnet et de Berkine.
Cette phase — souvent la plus délicate dans les accords internationaux d’hydrocarbures — exige des compromis sur des sujets sensibles : modalités fiscales, protection contre la volatilité des prix, calendrier des transferts de technologie, engagements environnementaux et obligations locales d’emplois et de sous-traitance. Tant Sonatrach que Chevron savent que la mise au point de ces clauses conditionnera non seulement la faisabilité économique du projet, mais aussi son acceptabilité politique et sociale au plan national.
Pourquoi l’Algérie intéresse autant les majors américains
L’Algérie dispose d’un profil énergétique attractif : gisements terrestres déjà identifiés, potentialités non conventionnelles importantes et position stratégique en Méditerranée et vers les marchés européens. Dans ce contexte, l’accord d’intention de juin 2024 a représenté un signal fort — mais symbolique —. Sa traduction en contrat commercial est, elle, déterminante : elle permettra l’engagement de capitaux, le déploiement de technologies et, potentiellement, l’augmentation significative de la production gazière algérienne.
Du côté américain, Chevron fait valoir son expertise technique et son savoir-faire dans le développement de ressources complexes, y compris non conventionnelles. Pour l’Algérie, l’intérêt est double : attirer des investissements directs étrangers au moment où la modernisation et la diversification du parc de production sont cruciales, et positionner le pays comme fournisseur fiable sur des marchés où la demande énergétique demeure structurée.
Les non conventionnels : moteur d’ambitions — et de convoitises
Le développement des hydrocarbures non conventionnels — shale gas, tight gas et autres — est au centre des ambitions affichées par Sonatrach. Le groupe public avance que l’Algérie possède des ressources importantes dans ce domaine, parfois qualifiées de « troisièmes réserves mondiales » selon ses estimations. Ces ressources représentent un gisement d’opportunités, mais aussi de défis techniques, financiers et environnementaux.
Les majors américaines, fortes d’expériences accumulées sur des gisements similaires aux États-Unis, voient dans l’Algérie un terrain propice à des investissements de grande échelle. Toutefois, l’exploitation non conventionnelle soulève des enjeux d’acceptabilité sociale et d’impact environnemental — gestion de l’eau, émissions de gaz, risques sismiques liés à certaines techniques — qui devront être pris en compte dans les conventions et dispositifs de supervision locaux.
Enjeux stratégiques et géopolitiques
L’arrivée de Chevron — potentiellement suivie d’autres grands groupes comme ExxonMobil, mentionnés parmi les priorités du ministère des Hydrocarbures — a une dimension géopolitique. Elle enverrait un message de confiance aux marchés internationaux : l’Algérie redevient une destination ouverte aux majors, prête à concilier souveraineté énergétique et partenariats technico-financiers.
Pour Sonatrach et pour l’État algérien, la finalisation de tels accords répond à des objectifs concrets : augmenter la production gazière nationale, attirer des technologies de pointe, créer des emplois qualifiés et dynamiser les économies locales autour des bassins d’Ahnet et de Berkine. Sur le plan international, un engagement durable des majors pourrait consolider la position de l’Algérie comme fournisseur d’énergie pour l’Europe et d’autres marchés, à un moment où la sécurité d’approvisionnement reste au cœur des préoccupations.
Risques, conditions et équilibres à préserver
Plusieurs points de vigilance demeurent :
- Cadre contractuel et fiscal : il doit permettre une rentabilité suffisante pour les investisseurs tout en préservant les recettes de l’État. Les négociations sur les clauses de prix, les partages de bénéfices et les mécanismes d’ajustement sont déterminantes.
- Transfert de technologies et contenu local : Sonatrach cherchera à maximiser les transferts de compétences et la participation de la chaîne locale de sous-traitance ; Chevron exigera en échange une sécurité juridique et la prévisibilité financière.
- Environnement et acceptabilité sociale : l’exploitation non conventionnelle impose des normes élevées de gestion environnementale et des dispositifs de suivi. Les autorités devront mettre en place des garanties claires pour répondre aux attentes citoyennes et aux standards internationaux.
- Sécurité des investissements : stabilité réglementaire et protection juridique sont indispensables pour engager des milliards de dollars d’investissements sur des projets à long terme.
Calendrier attendu et signaux de marché
Les protagonistes évoquent désormais une accélération des négociations commerciales. Après la rencontre entre Frank Mount et Noureddine Daoudi, les échanges semblent orientés vers une conclusion rapide. Reste à transformer cette dynamique en actes juridiques et financiers : la mise au point de contrats types, l’approbation éventuelle par les instances gouvernementales compétentes et la déclinaison opérationnelle (programmes d’exploration, études d’impact, appels d’offres locaux).
Si tout se déroule sans accroc, la signature finale pourrait intervenir dans les prochaines semaines à quelques mois — mais ce calendrier demeure tributaire de la résolution des détails commerciaux et de l’aval des autorités nationales. Quoi qu’il en soit, le simple fait que Chevron ait dépêché un responsable commercial de haut niveau à Alger témoigne de l’intérêt réel et de la pression pour boucler l’accord.
Conséquences attendues pour l’économie nationale
La concrétisation d’un accord de grande envergure avec Chevron entraînerait plusieurs effets positifs potentiels pour l’Algérie : flux d’investissements, création d’emplois directs et indirects, montée en compétence des acteurs locaux, et renforcement des capacités d’exportation gazière. Elle pourrait aussi stimuler d’autres accords entrants, attirant un cercle plus large de majors et de fournisseurs internationaux.
Cependant, la réussite dépendra de la capacité des autorités à articuler une politique sectorielle claire, équilibrant ouverture aux investissements, souveraineté économique et respect des impératifs environnementaux.
Entre opportunité et responsabilité
La perspective d’une signature finale entre Sonatrach et Chevron symbolise une fenêtre d’opportunité pour l’Algérie : relancer l’attractivité du pays auprès des grandes compagnies énergétiques, moderniser ses infrastructures et valoriser ses ressources, y compris non conventionnelles.
L.R.



