Pour le chef du service de médecine légale de l’hôpital universitaire Mustapha Pacha, la consolidation de l’économie sanitaire algérienne doit passer par une réforme ambitieuse et ordonnée du secteur privé. Face à la fragilité des salaires, à la porosité public-privé et à la dépendance aux importations, Belhadj propose un plan global : revalorisation des grilles, encadrement juridique du privé, ouverture des CHU au secteur privé pour la formation, relocalisation industrielle et création d’un observatoire national indépendant.
S’exprimant lors de l’émission matinale « invité du matin » de la Chaine 1 de la Radio nationale, le Professeur Rachid Belhadj a livré un diagnostic sans fard : l’Algérie a engrangé des progrès médicaux — baisse de la mortalité néonatale, contrôle de certaines épidémies, avancées dans la lutte antituberculeuse — mais ces acquis restent fragiles du fait d’un système dont la cohérence et la résilience sont remises en cause par des lacunes structurelles.
« Améliorer la qualité passe par la protection des cadres soignants et la facilitation de l’investissement sanitaire, tout en révisant les lois et grilles salariales pour stabiliser l’armée blanche », a-t-il résumé.
Un personnel au centre de l’alerte : salaires faibles, cumul d’activités et fuite des compétences
Le constat social est brutal. Selon Belhadj, près de 60 % des personnels du secteur public exercent partiellement dans le privé — symptôme d’une porosité qui, loin d’être neutre, révèle l’insuffisance des revenus publics. Il cite un exemple criant : un assistant universitaire en médecine, après quinze ans de formation et d’enseignement, toucherait l’équivalent de 11 millions de centimes — situation qu’il qualifie d’« irrationnelle » et propice à l’exode des compétences.
Les conséquences sont multiples : affaiblissement du service public, inégalités d’accès, dispersion de l’effort pédagogique et risque d’appauvrissement du vivier national de recherche médicale.
Le secteur privé : croissance incomplète, rôle à redéfinir
Le privé a connu un fléchissement après l’instauration de la gratuité, puis une renaissance structurante avec la loi de santé de 2018, qui l’a repositionné comme acteur complémentaire. Pourtant, il demeure concentré sur des niches rentables (chirurgie, obstétrique) et loin d’assumer pleinement des missions de prévention, de prise en charge des maladies chroniques ou de recherche.
Belhaj réclame une restructuration et une régulation : un cadre légal transparent, des missions définies, et une incitation forte à intégrer la formation continue et la recherche dans les activités des cliniques.
Formation et recherche : l’urgence stratégique
Pour le professeur, la montée en qualité des soins passera par la formation continue et le renforcement de la recherche. Il propose d’ouvrir les hôpitaux universitaires aux praticiens privés pour contribuer à la formation des jeunes médecins et paramédicaux, et d’intégrer les cliniques privées aux programmes de recherche clinique.
« La qualité du service commence par la qualité de la formation du médecin et de l’infirmier », insiste-t-il.
Autonomie industrielle : réduire la dépendance aux importations
La pandémie de Covid-19, rappelle Belhaj, a mis en lumière la vulnérabilité créée par la dépendance aux chaînes d’approvisionnement extérieures. Il plaide pour développer une industrie locale pharmaceutique et des filières de production d’équipements médicaux, y compris pour certaines capacités de fabrication vaccinale et de consommables, afin d’améliorer la résilience du système.
Pour assurer le suivi et l’évaluation, il propose la mise en place d’un observatoire national indépendant, rattaché à la Présidence ou à la Primature plutôt qu’au ministère de tutelle, afin d’éviter les conflits d’intérêts et garantir l’autonomie d’audit.
Les missions : suivi des indicateurs de performance, audits, rapports publics, coordination entre acteurs, et recommandations stratégiques.
Financement et contractualisation : des modèles mixtes à construire
Belhaj appelle à des mécanismes de financement mixtes (public-privé), à la contractualisation d’échanges entre établissements publics et cliniques privées, et à des mesures incitatives pour l’investissement local en R&D et production pharmaceutique.
Pour le Professeur Rachid Belhadj, la réforme du privé n’est pas un objectif sectoriel mais une condition pour la sécurité sanitaire nationale. Sa feuille de route combine mesures salariales, cadre juridique, intégration formation-recherche et stratégie industrielle — l’ensemble devant être appuyé par une gouvernance indépendante et des mécanismes de financement innovants.
L.R.



